Continents à la dérive par Parkko

Je voulais tester un roman de Russel Banks et j'ai choisi celui-ci parce qu'il se passait en Floride, notamment à Miami, ville où j'habite.

Je dois dire que j'ai pris un plaisir premier à lire cette description d'un Miami révolu, celui de la fin des années 1970 et du début des 1980. Lire les noms de Biscayne Boulevard, Brickell, Little Haiti, Coral Gables et des différentes Keys me parle directement. Je m'imagine (même si bien sûr la ville a évolué depuis) les scènes, je visualise parfaitement. Et je prends un plaisir certain à voir comment la ville a changé sur plein de choses, comment certains quartiers plus ou moins dangereux sont devenus maintenant des quartiers à la mode, complètement gentrifiés. Même lire les noms de Hollywood (celui en Floride, pas de Los Angeles) et Fort Lauderdale, deux villes proches de Miami est toujours un petit plaisir.

Cette fascination pour la Floride, décrite par Russel Banks, est quelque chose que j'observe encore aujourd'hui. Les américains voient la Floride, et surtout le sud Floride comme Miami, comme un endroit presque hors de leur pays, comme un lieu de vacances permanentes. Le livre le décrit plutôt bien avec ce personnage qui quitte sa nouvelle Angleterre pour la Floride (et c'est en effet, complètement différent).

Le livre est remarquablement écrit. Chaque paragraphe pourrait être analysé tant il décrit parfaitement chaque sensation, chaque pensée, chaque moment de la vie de Bob (car je dois dire que c'est surtout son histoire qui me semble diriger le récit). J'avoue que parfois, cela peut être un peu dur à lire. Prendre le livre certaines fois a été difficile pour rester concentré, pour m'y accrocher, mais cela vaut le coup, car le lecteur est récompensé.

Le livre a beaucoup de qualités mais j'aimerais simplement en citer une, c'est la façon dont il décrit les Etats-Unis. Car dans les films ou dans les livres, on tombe souvent dans des choses assez stéréotypées et exagérées : soit les USA sont montrés comme un modèle de réussite économique, du self-made-man, etc. Soit au contraire, on montre l'envers du rêve américain et les dérives multiples de ce pays. Et Russel Banks le fait, sans nul doute. Montrer tous les défauts des USA. Pour autant, il parvient à montrer comment cela reste un rêve avant tout pour beaucoup de personnes. Et c'est vrai. Avec cette histoire d'haïtiens, prêts à tout pour rejoindre les USA. Car on pourra toujours dire tout ce qui ne va pas aux Etats-Unis, cela restera toujours un sort bien plus enviable que dans d'autres pays voisins. Dans mon entourage j'ai des haïtiens, des vénézuéliens, des cubains etc. et d'autres personnes comme ça qui ont échappé à leurs pays et pour qui les Etats-Unis sont un vrai eldorado. Pas qu'ils vivent dans des maisons luxueuses, et dans le livre on voit que la vie de ces haïtiens sera de se cacher dans Little Haiti, dans des conditions précaires. Et pour autant, cela reste mieux que leur vie et d'une certaine façon les USA présentent un rêve, une lueur d'espoir pour des millions de personnes qui cherchent à quitter leur pays. Et je trouve ça plutôt bien qu'on se décentre de notre point de vue occidentaliste pour montrer qu'il y a tout une partie du monde qui vit dans des conditions dramatiques, prêts à mourir en naviguant sur l'Atlantique (tout comme les migrants qui meurent dans la Méditerranée) et que malgré tous les défauts du mode de vie d'ici, cela reste un phare.

Bref, j'ai peut-être pas assez insisté sur la force du roman et sur les talents de l'auteur mais ce film m'a parlé directement donc j'ai axé beaucoup ma critique sur mon vécu personnel vis à vis du livre et sur comment le livre décrit une réalité encore d'actualité.

Alors oui, comme je le disais, c'est parfois difficile à lire car même si c'est beau et puissant, ça peut être un peu âpre par moment. Mais Russel Banks est certainement un auteur américain important.