Le XXIe siècle est marqué par un changement profond des crises. Alors que les conflits inter-étatiques étaient encore la norme jusqu'au milieu du XXe siècle, les années de l'après seconde guerre mondiale ont vu l'apparition d'un nouveau type de conflit : les guerres asymétriques, celles du faible au fort, de manière non conventionnelle, c'est à dire ne s'appuyant pas sur le droit à/de la guerre. C'est bien ce dernier point sur la conventionnalité qui est le plus important. L'histoire est marquée de conflits conventionnels ayant opposé de grandes puissances à de plus petites, comme en Septembre 1939 lorsque la Pologne fut attaqué par l'Allemagne, puis à partir du 17, par l'URSS. Mais ces conflits inter-étatiques conventionnels se font de plus en plus rares. Non pas que les conflits armés ne soient plus de mises au profit du dialogue. Au contraire. De plus en plus éclatent aux marges de l'Europe, en Afrique et au Moyen-Orient, opposant des États à des groupuscules et autres organisations non-étatiques. Ces derniers, ne bénéficiant généralement pas des avantages numériques et/ou technologiques de leurs adversaires, s'appuient sur une cause pour s'octroyer le soutien populaire, leur objectif prioritaire, et mènent des actions de guérilla, pour éviter l'affrontement de masse, frontal, qui leur serait sûrement fatal. Ce genre de tactiques « low-cost, low-tech » peut d'ailleurs se révéler redoutable.


L'histoire militaire française n'est pas étrangère à ce domaine. Loin de là. Nous pouvons remonter d'abord à la Pacification, avec des figures emblématiques tels Galliéni ou Lyautey dans les colonies, que ce soit au Tonkin, à Madagascar, en Algérie ou au Maroc. Il s'agissait de quadriller le territoire nouvellement conquis, afin de mater toute rébellion et poches de résistances restantes. Puis le terme de contre-insurrection se substitua à celui de Pacification, le contexte international changeant énormément. La Seconde Guerre Mondiale renforça le nationalisme et la volonté d'indépendance dans certains pays colonisés. Les puissances colonisatrices d'antan, à savoir France et Royaume-Uni, ont en effet montré leurs faiblesses lors du conflit et de nouvelles puissances opposées au colonialisme se substituèrent à celles-ci : l'URSS et les États-Unis d'Amérique. Sur fond de guerre froide, de nombreux conflits éclatèrent, que ce fut en Indochine, en Malaisie ou en Algérie. Les troupes occidentales furent alors déroutées lorsqu'elles s'aperçurent que les doctrines de guerre conventionnelles n'étaient pas adaptées à ce type de conflit. C'est dans ce contexte qu'apparurent de nouveaux penseurs français tels Hogard, Trinquier ou encore Galula, qualifié de « Clausewitz de la Contre-Insurrection » par le Général américain David H. Petraeus dans la préface de Contre-Insurrection, Théorie et Pratique. Sur le terrain, ceux-ci mirent en pratique leur pensée tout en restant dans la droite lignée de leurs prédécesseurs de la Pacification. David Galula est le plus connu de ces théoriciens, redécouvert récemment en France après avoir conquis l'armée américaine et avoir fait partie des références du Field-Manual 3-24 de l'Armée des Etats-Unis .


David Galula, officier de l'armée française, fait parti de ces hommes qui connurent une carrière militaire pour le moins étonnante. Né à Sfax en Tunisie en 1919, il rentre à Saint-Cyr en 1939. Juif, il est radié de l'armée mais n’hésite pas a rejoindre l'Afrique du Nord pour continuer la lutte. Réintégré par le général Giraud avec le grade de lieutenant, il participe à la campagne de France puis d'Allemagne. Après la guerre, en tant qu'attaché, il assiste à plusieurs insurrections, en Chine ou en Grèce, lui permettant d'approfondir encore plus sa pensée et de percevoir cette nouvelle forme de guerre qui allait bientôt s'imposer majoritairement : la guerre insurrectionnelle. Lors de la guerre d'Algérie, il mit en œuvre ses principes et parvint à pacifier parfaitement son secteur. Ce sont ces principes de contre-insurrections qu'il couche sur papier dans Contre-Insurrection : Théorie et Pratique. Publié d'abord en 1964 aux États-Unis par la Rand Corporation, il fallut attendre 2008 pour voir une parution en France. Véritable icône de la contre-insurrection outre-atlantique, il est alors un quasi-inconnu dans sa propre patrie.


Découpé en 7 chapitres, le livre décrit les étapes de l'insurrection et celles de la réaction des loyalistes aussi bien au plan stratégique que tactique. Le principe est clair, il faut cibler la population et ses besoins pour la couper des rebelles, en remportant les "cœurs et les esprits" et en quadrillant le pays (tactique dite de la "tâche d'huile"). Sans soutien de la masse populaire et contenu militairement, un mouvement insurrectionnel aura toutes les difficultés du monde à paraître légitime et viable. Il sera donc condamné si la tendance ne change pas.


Toutes les guerres ne visent pas à l'éradication des forces ennemies, la contre-insurrection en est la preuve criante. C'est pour cela que je recommande cet ouvrage, véritable petit manuel pratique, d'un auteur précis, s'appuyant sur bon nombre d'exemples souvent vécus. Néanmoins, Galula indique que les principes relatés dans son ouvrage ne sont valables que face à un mouvement révolutionnaire « communiste ». Or, bien qu'il soit une inspiration majeure pour l'armée américaine, les résultats mitigés retirés du Surge en Afghanistan montre bien les limites ou la mauvaise utilisation de ses préceptes. Depuis la fin de la guerre froide, la cause des insurgés a beaucoup évolué. Des motifs religieux ou anti-capitalistes (voir anti-occidentaux/anti-américains) sont désormais les principales causes de ces nouvelles insurrections. Les pratiques évoquées précédemment sont donc plus difficiles à appliquer. En effet, Comment avoir un impact sur la conception que certaines personnes ont de telle ou telle religion ? Par quels moyens agir contre le rejet d'un modèle économique ou d'une façon de pensée ? Voilà donc quelques questions qui entravent la doctrine de contre-insurrection actuellement. Néanmoins, le livre n'est pas totalement dépassé et certains de ses préceptes restent de vigueur, notamment au sujet de la population qui reste l'objectif majoritaire dans ce type de conflits, plus politique et social que militaire, qu'un découpage du territoire est crucial et que les troupes doivent être réparties entre forces statiques et forces mobiles. 50 ans après sa mort, Galula reste donc toujours d'actualité.

Lyrik
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le 14 mars 2018

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