Je trouve ce livre très intéressant. Il propose de découvrir les travaux de Marcel Monin et de Fishkin qui ont déjà fait beaucoup pour mettre en lumière et en pratique le tirage au sort. Il présente leur idée de façon assez convaincante pour que l’envie de lire ces deux auteurs me vienne.
Deux points négatifs : le livre aurait pu être beaucoup plus court. Les idées qu’il développe auraient été beaucoup plus claires en 100 pages. Deuxième point négatif, la faiblesse quand à l’analyse de pourquoi la démocratie est à bout de course. Cette analyse prend 2/3 du livre mais n’est pas très poussée. Je développe ma critique ci-dessous :
Parmi les symptômes du problème démocratique, l’auteur parle de la course électorale qui entrave le débat d'idée. Certes mais c'est surtout les conflits d'intérêts qu'entretient la classe des très riches (politiques, médiatiques et économiques) qui entravent la démocratie en agissant dans leur intérêt et non dans celui de l'intérêt général. Très bien démontré depuis 30 ans par la sociologue Monique Pinçon Charlot.
Autre symptôme, les technocrates sont analysés comme des experts œuvrant pour le bien de la nation mais de façon peu démocratique. Ce diagnostic est faux, ils œuvrent de façon non démocratique mais pas forcément pour l'intérêt général. Aujourd'hui, les technocrates européens œuvrent pour l'intérêt de l'ordo-libéralisme, système économique sur lequel est fondé l’Europe, imposé par l'Allemagne qui craignait de revivre la crise inflationiste qui l’a marqué entre les deux guerres. L’ordo-libéralisme est très avantageux pour l’Allemagne et dans une moindre mesure, les autres pays très développés. Beaucoup moins pour les autres, c’est-à-dire la grande majorité des pays de l’UE. Cf : Frederic Lordon, la malfaçon.
Comment Junker, qui a dirigé le paradis fiscal qu'est le Luxembourg peut être ... dans l'intérêt général ?
La légèreté de l'auteur se trouve également quand derrière l'emphase "le grand philosophe français" se trouve Pierre Rosanvallon. Proche des élites ayant capté le pouvoir depuis de nombreuses années, proche d’ Alain Minc ou BHL, cet homme illustre le contraire de l'idée démocratique que défend David Van Reybrouck. Cf : de nombreux articles du Monde Diplomatique qui mettent cela en lumière.
Le parlement est vu par l'auteur comme un lieu où les divergences devraient former un consensus et œuvrer à l'intérêt général. Monique Pincon Charlot explique très bien l'impossibilité dû à la classe des riches qui œuvre pour son propre intérêt.
L'explication de l'obsolescence des élections actuelles où les politiciens sont perpétuellement en course pour une élection, et négligent donc l'intérêt à long terme au profit d'une vision à court terme est intéressante.
Le rôle des médias recherchant l'audience et donc le buzz plutôt qu'à rendre le débat intelligible l'est également. D'autant plus qu'est souligné le rôle des médias orientant le débat entre deux versions du libéralisme.
S'ensuit un historique du droit de vote et de ses limites pour arriver au constat que l'heure du tirage au sort est arrivée pour rendre davantage démocratique notre démocratie. Je suis plutôt d'accord pour instaurer une part de tirage au sort, voire une grande part mais je trouve le constat expéditif : l'élection est à bout de souffle ? Ok. Mais est-ce l'élection en tant que telle ou les conditions dans laquelle elle est faite qui sont mauvaises ? C'est tout autre chose de dire que les élections ne sont pas très démocratiques quand c'est leur organisation (médias détenus par des milliardaires et qui défendent logiquement la vision libérale du monde, etc.).
Les remèdes :
La démocratie délibérative : ce que les citoyens veulent après avoir réfléchi sur le sujet. Cela peut paraître simpliste mais le test scientifique de Fishkin, datant de 1996, montre que des personnes ordinaires deviennent des citoyens compétents lorsqu'on leur en donne les moyens (discuter avec des spécialistes), affinent leurs jugements politiques, adaptent leurs opinions. Le but de Fishkin était de sortir d'une démocratie de masse dirigée par des sondages sans réflexions préalable, des petites phrases, de l'éloquence et du charisme.
Suivant cette logique, David Van Reybrouck rejette le référendum car on demande à des gens peu informés de délibérer sur un sujet.
Avantage du tirage au sort : fin des jeux électoraux, batailles médiatiques, marchandage législatif. Davantage d'intérêt général.
De nombreux arguments sont très convaincants. Les raisons qui nous viennent à l’esprit contre le tirage au sort sont les mêmes qui ont empêché pendant de nombreuses années le droit de vote des femmes, des paysans, etc. A quoi bon avoir des experts très compétents s’ils ne connaissent même pas le prix du pain ? Les élus, tous comme les citoyens tirés au sort, ont besoin d’experts à leur côté donc on ne peut pas crier à l’amateurisme pour les tirés au sort et ne pas le dire pour les élus qui sont à peine plus professionnels. Les expériences de Fishkin ont montré que les tirés au sort prenaient de très bonnes décisions dès lors qu’ils étaient éclairés et réfléchissaient ensemble.