Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal est un roman court sorti en 2008. Il sera adapté en film neuf ans plus tard par Dominique Cabrera sous le même titre.
Pour résumé brièvement, un groupe de jeunes, âgés entre treize et dix-sept ans, a pris pour QG la Plate (plateforme) de la corniche Kennedy, où ils s’amusent à sauter dans la mer sur trois plongeoirs différents, de hauteurs différentes : le premier de trois mètres, le deuxième, le Just do It, de sept mètres, et le troisième, le Face to Face, de douze mètres. Autant dire un jeu qui s’avère dangereux. Sylvestre Opéra, commissaire de police, surveille tous les jours cette zone avec attention derrière ses jumelles et a pour ordre d’éradiquer ce fléau. Une tâche qui ne va pas être des plus facile.
La première chose qui m’a marqué quand j’ai commencé à lire ce livre est le temps employé : le présent. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un texte écrit entièrement avec ce temps. Le fait qu’il soit rédigé au présent donne vie au texte, les actions qui se déroulent se font sous nos yeux, nous pouvons voir toutes les scènes directement et y être présents. Nous sommes à la fois spectateurs et acteurs des événements, surtout lorsque l’action est centrée sur les jeunes. Les lignes s’effacent peu à peu et nous entrons dans la fiction sans nous en rendre compte.
Le style d’écriture est assez singulier. Les dialogues sont directement intégrés à la narration, sans signe de ponctuation ni de subordonné, seulement entre deux virgules. Cela dynamise encore plus le texte. En plus de voir directement les actions sous nos yeux, on peut également entendre ce qui se dit et plus encore avec toutes les onomatopées qui parsèment le roman.
Les multiples phrases courtes rythment le texte et lui donne un tempo assez rapide. Une sorte d’énumération constante, une suite d’actions et de descriptions sans phrases complètes. On ne perd pas de temps. On est calqué sur le mode de vie des adolescents. On peut aussi traduire ces phrases comme un compte à rebours, comme lors du décompte avant de sauter dans l’eau, ou le fait que chaque saut soit minutieusement chronométré lors du « jeu » avec Opéra (1 saut = 1 point pour les sauteurs/ 1h sans saut = 1 point pour la police).
Corniche Kennedy est un roman plein de sensations. Chaleur d’été, odeurs de peaux cuites par le soleil et tiraillées par le sel de la mer, caresses aux creux des oreilles par le son apaisant des vagues qui viennent s’écraser sur le rivage, les cris des ados juste avant de sauter… Sensualité des corps, jeunesse, insouciance, goût du danger, de la liberté, et de l’interdit, l’adrénaline se fraye un chemin jusqu’à nos veines. La corniche prend vie dans toute cette agitation et ce vacarme.
On s’attache tout de suite à trois jeunes de la Plate qui vont devenir les personnages principaux : Eddy (le chef de bande, alias le Bégé), Mario, et Suzanne qui forment toujours ensemble un trio. On les suit dans chacune de leurs actions. Quand ils sautent, on saut avec eux, on les accompagne tout le long du récit, on ressent le vertige et le vide qui s’étant sous nos pieds. On s’attend aussi à une histoire d’amour entre Suzanne et Eddy mais les satisfactions du lecteur ne sont pas entièrement comblées.
Les passages avec Sylvestre Opéra sont beaucoup moins intéressants et coupent complètement l’histoire, surtout lorsqu’il nous parle de son passé et de Tania. Ils ralentissent la lecture et l’intérêt porté au récit. Dans ces passages une intrigue secondaire est dévoilée, en rapport avec un trafic de drogue, mais là encore je ne la trouve pas très utile pour faire avancer l’histoire. On peut même dire qu’elle la découd un peu. On ne voit pas trop ce que cela vient faire dans l’histoire.
Un mot pour la fin que j’ai trouvé assez décevante. Je pense que je m’attendais sûrement à plus de drame. La fin est plutôt plate. Je pense que je n’ai juste pas compris le geste final des deux protagonistes :
Soulever le carton de cocaïne au-dessus de leurs têtes et en faire s’échapper la poudre.
Donc, un roman avec un style d’écriture particulier, avec de multiples éléments qui viennent donner vie au récit et qui invitent le lecteur à faire partie de la fiction.
Une citation pour la fin de cette critique :
Il sait la relance du monde à chaque saut, à chaque impulsion de pied sur la pierre, comme une figure libre qui ferait le pari de la transcendance inversée, il sait le corps débordant et désorienté qui reconquiert un autre espace, un autre monde à l’intérieur du monde ; non pas la chute, donc, le truc grisant de tomber comme une pierre, mais être contenu dans le ciel, dans la mer, là où tout croît et s’élargie, et devenir le monde soi-même, coïncider avec tout ce qui respire, et que ce soit intense, rapide, léger, il sait tout cela, il en connaît les dangers, le tourbillon, la nausée, les yeux révulsés, la tête à l’envers.