Le monde de la littérature est surpeuplé de bons romans sans style. C'est sans doute là une maladie contemporaine un peu tragique : celle de la prose simple et sans aspérité, sans emphase, sans âme. Mais il y a sans doute pire qu'un bon roman sans style, et c'est le mauvais roman avec style. Celui là est bien différent, mille fois plus frustrant et sans doute des milliards de fois plus sinistre. Il s'agit là de bien écrire, certes, mais sans que cela ne serve absolument aucun propos. Pire que cela, c'est une manière d'embellir du vide et de le rendre faussement attrayant, pour ne pas dire terriblement ennuyeux. Bref, Corniche Kennedy est diablement bien écrit, certes, mais il ne sert strictement à rien. J'ai eu beau lire et je n'ai pas pu me dépêtrer de cette désagréable impression qu'une écrivaine tentait de m'arnaquer et de justifier à tout prix son écriture, au détriment de ce qui fait tout de même le principe même d'un roman : le sujet du livre. Car je n'ai absolument rien compris d'un bout à l'autre de l'oeuvre, et ce n'est pas ça le pire, parce que de ce fait, je n'ai absolument rien ressenti, ce qui est quand même vraiment un problème. Une fois passé le vertige réel de la profondeur de l'écriture de Maylis de Kerangal, j'ai eu l'impression de ressentir au plus profond de ma chaire l'expérience de la vacuité absolue. Difficile de se relever d'une telle expérience de lecture. J'ai pourtant bien essayé de m'abstraire de cette désagréable impression, de voir un peu plus loin que mon petit ennui pour tenter de saisir la beauté de ces corps adolescents qui plongent depuis de hauts belvédères dans la mer Méditerranée et ... Rien. C'est sans doute le mot qui caractérise d'ailleurs le mieux le roman : Rien. Il ne se passe rien, on ne ressent rien et on ne comprend rien. Autant se balancer réellement d'une falaise, c'est sans doute plus exaltant.