Avec ces aventures en mer, mon corps s'aère et mon cœur serre...
Le corsaire se singularise du pirate en ce sens qu'il justifie ses prises par des lettres de créances qui le mandate pour attaquer la marine ennemie. Si les attaques se sont concentrées essentiellement sur les navires de commerce, ces cibles n'étaient pas exclusives, comme nous allons le voir dans cet ouvrage. en effet, l'esprit de vengeance, l'esprit patriotique animait aussi beaucoup leurs capitaines (et moins les matelots, pour qui l'espoir de la "prise" restait, on le comprend l'attrait principal). Une fois au port (si le bateau y parvient), l'état (auteur des dites-lettres) prélève son pourcentage sur le butin.
"Corsaire de la république" constitue le premier des trois tomes des souvenirs de Louis Garneray. Si tous les haut faits relatés dans ces pages n'étaient pas dûment confirmés par les archives de la marine, il pourrait être difficile de croire à cette accumulation d'aventures épiques, cette avalanche de péripéties où la mort était une issue finalement assez banale à l'action et au métier de ces hommes.
L'attrait principal de ces mémoires est, on s'en doute, d'avoir été réellement vécues par son auteur, ce qui constitue une singulière différence avec n'importe quel récit d'aventure, si brillamment écrit soit-il. Mais qu'on se rassure: Louis Garneray a bien des qualités (matelot, peintre, compagnon fidèle et brillant) dont l'une des principales est celle de la capacité à (bien !) écrire ses mémoires. La plume est vivante, passionnée, enivrante. Qu'on se figure en effet que son auteur a été l'homme de bord de bien des capitaines illustres (L'Hermitte, Surcouff, pour les plus célèbres), s'attachant à chaque fois leur faveur, après avoir fait le voeux à 12 ans de prendre la mer sans avoir jamais vu un plan d'eau !
Plein de question et d'incompréhensions nous frappent lorsque, plus de 200 ans après les faits, on lit ces aventures hallucinantes.
Comment faire si peu de cas du danger que vivaient ces hommes au moment de chaque combat lorsqu'on lit à quelle brutalité souvent, les évènements menaient ? La perspective du partage de prises (le butin) ne pouvait tout justifier, et les descriptions de ce qu'était la vie des "frères de la côte", par exemple, même lorsque cantonnés à terre, est confondante. De la fragilité de la vie découlait une ligne de conduite pour le moins...intrépide, pour le moins incompréhensible à nos époques et par nos latitudes.
Comment avoir en si haute estime ou admiration ces capitaines qui menaient leur troupes vers de si grands périls parfois guidés par des sentiments qui pouvant nous sembler aujourd'hui si légers ?
Garneray a côtoyé quelques-uns des meilleurs meneurs de troupes que l'océan a porté et la description qu'il nous en fait est à la fois sincère et intelligente: plus le temps passe plus Garneray est proche d'eux et parvient a parfaitement nous traduire leurs états d'âmes, convictions et craintes. En plus de stratèges hors paires et marins accomplis, les grands capitaines pouvaient être de parfaits meneurs d'hommes et pour chacun d'entre eux, les traits de caractères singuliers qui les guident sont superbement rendus. Les paris faits (d'une simple décision, intuition, réaction peut dépendre le sort de plus de cents compagnons) par ces gens restent stupéfiants, de même que les différents codes d'honneur qui régissaient ces temps et ces hommes, codes qui peuvent paraître incompréhensibles, encore une fois, à des yeux contemporains.
Voir comment, en dernier recours, un capitaine peut enfreindre ces codes est assez croustillant.
Comment se souvenir, plus de 20 ans après les faits, de détails aussi précis, de dialogues importants avec autant d'acuité ?
A priori, on se dit que de si marquants moments ont pu et dû marquer de manière indélébile un esprit alors âgé de 13 à 15 ans et que, on lui pardonnera sans effort, si un certain enjolivement a pu enrober certains passages, les faits sont si puissants et terribles que leur portée est de toute façon bien plus forte qu'une éventuelle exagération ici (et encore, rien ne permet de l'estimer ou même le penser ou le deviner) ou un oubli là.
Bref, entrer dans les mémoires de Louis Garneray, c'est entrer dans un des pans les plus extraordinaires de l'histoire humaine, de l'aventure, de courage fou - ou de la folie courageuse- d'hommes qui remettaient leurs existences aux destinées des bateaux, des éléments, du feu ennemi et de son propre courage, armes à la main.
Certains passages sont foudroyants (l'abordage du Kent ! Le récit du capitaine hollandais ! Le combat de L'Hermite contre plusieurs frégates !) et la dureté des descriptions a parfois heurté les conscience en son temps. C'est aujourd'hui (et je reprend en ceci l'argumentaire de la quatrième de couverture) une des principales forces de ce livre unique.
Il me reste les deux tomes suivants ("Le négrier de Zanzibar" et "un corsaire au bagne") pour connaître la suite de cette vie hallucinante pour notre temps, presque courante sinon banale pour l'époque et le lieu.
D'où cette dernière question: qu'est-ce qui peut bien faire qu'un casanier comme moi soit autant fasciné par les récits de voyages et d'aventure ? Le simple goût du contraste ?
Une citation pour conclure, j'aime finir par ça:
"Au commandement de Surcouf, le bastingage s'encombre de sacs et de hamacs, destinés à amortir la mitraille; les coffres d'armes sont ouverts, les fanaux sourds éclairent de lugubres rayons les soutes aux poudres; les non-combattants, c'est à dire les interprètes, les médecins, les commissaires aux vivres, les domestiques etc... se préparent à descendre pour approvisionner le tillac de poudre et de boulets, et à recevoir les blessés; le chirurgien découvre, affreux cauchemar du marin, les instruments d'acier poli; les panneaux se ferment, les garde-feu, remplis de gargousses arrivent à leurs pièces; les écouvillons et les refouloirs se rangent aux pieds des servants, les bailles de combat s'emplissent d'eau, les boutefeux fument enfin, toutes les chiques sont renouvelées, chacun à son poste de combat".
Je vous laisse découvrir la suite par vous-même.
Prenez le large.
Et à vous "la part du diable" !