Ecrivain engagé, et pour cause le bonhomme est né dans une famille d’anarcho-syndicalistes espagnols, Paco Ignacio Taibo II est un auteur atypique. Naturalisé Mexicain vers l’âge de dix ans, il partage désormais sa vie entre le Mexique, l’Espagne et la France. Auteur d’une biographie passionnante de Che Guevara et d’un livre co-écrit avec le sous-commandant Marcos, Paco Ignacio Taibo II a surtout rencontré le succès grâce aux enquêtes du détective Hector Balascoaran Shayne, détective privé mexicain aux origines basques et irlandaises.

Cosa Facil est le second roman de la série Balascoaran. Ecrit au milieu des années 70, alors que le Mexique connaît pour quelques années encore une importante croissance économique et l’émergence d’une véritable classe moyenne, Cosa Facil laisse apparaître quelques lignes de cassure. Le miracle mexicain touche à sa fin, la machine se grippe et les syndicats montent au créneau. C’est là qu’entre en marche la répression étatique et policière. Le roman illustre à merveille ce basculement dans la violence sociale et économique liée à la libéralisation de la société mexicaine, et c’est probablement ce qui en fait toute la force. Au milieu de ce chaos annoncé, qui pour le moment n’en est pas encore un, Hector Balascoaran Shayne, ex-ingénieur aujourd’hui détective sans le sou, partage ses bureaux avec un plombier, un tapissier et un ingénieur spécialiste des canalisations et des égouts. Hector Balascoaran Shayne, que l’on nommera par ses initiales HBC, c’est plus court, mène une vie pour le moins compliquée. Sa vie sentimentale est un champ de ruines et ses affaires lui rapportent plus de coups et de blessures que de pesos. Cette fois, notre détective doit mener trois affaires de front : un illustre illuminé, persuadé que Zapata n’a jamais été assassiné, lui demande de se lancer à sa recherche, une actrice populaire sur le déclin charge HBC de veiller sur sa fille victime de plusieurs agressions, enfin, les dirigeants d’une grosse entreprise de Mexico lui demandent d’enquêter sur l’assassinat d’un ingénieur dans une usine secouée par un mouvement de grève important.

“Si vous me demandez pourquoi il est détective privé, je serais bien en peine de vous répondre. Il est évident qu’à certains moments, il préférerait ne pas l’être, comme il y a des moments où je préférerais être n’importe quoi, sauf écrivain.”
Raymond Chandler

Ce qui fascine au premier abord dans le personnage de HBS c’est qu’il s’inscrit dans la longue tradition du polar hard-boiled. Il s’agit d’un détective dans le plus pur style behavioriste (un dur à cuire capable d’une grande finesse d’analyse, sensible, profondément solitaire mais gardant les pieds ancrés dans la réalité sociale), qui s’éloigne toutefois des canons du genre pour mieux se singulariser (a obtenu sa licence en suivant des cours par correspondance, se déplace la plupart du temps en bus, consomme des sodas plutôt que du whisky, partage son bureau avec trois autre énergumènes, très proche de ses frères et soeurs qu’il met souvent à contribution pour ses enquêtes). Globalement HBS reste un redresseur de torts, un défenseur de la veuve et de l’orphelin incapable de mener une enquête qui entrerait en conflit avec ses propres préceptes moraux, philosophiques ou politiques (fortement ancrés à gauche), l'appât du gain n’est pas sa première motivation, son moteur c’est l’adrénaline que lui procure son boulot, c’est d’une certaine manière sa liberté d’action et de choix, qui l’autorise régulièrement à envoyer bouler son employeur. HBS surprend souvent, déçoit rarement, mais reste profondément humain, il n’est pas infaillible et reçoit régulièrement son lot de grosses galères. Bref, il est tout simplement l’archétype de l’anti-héros attachant. L’autre force de Paco Ignacio Taibo II, c’est sa capacité à ancrer son héros et ses enquêtes dans le réel, chaque roman est l’occasion de plonger au coeur de la société mexicaine, d’en comprendre les lignes de fracture et les enjeux (émergence des revendications de la classe moyenne, corruption, violences policières, zones de non droit et impunité des politiques). C’est d’ailleurs l’occasion pour l’auteur d’étaler toute sa science du détail.

Dernière qualité et pas des moindres. Paco Ignacio Taibo II est un écrivain qui sait prendre son temps. Il s’attarde sur des descriptions à priori futiles, mais finalement lourdes de sens, nous plonge dans les réflexions perplexes de son détectives, nous permet de partager quelques tranches de vie savoureuses. Bref, tout ce qui fait les qualités d’un bon roman, mais fait hélas défaut à nombre de polars trop attachés à la notion de suspense, un artifice dont Paco Ignacio Taibo II sait parfaitement se passer.
EmmanuelLorenzi
8
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le 8 nov. 2012

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