Sergueï Plotkine prend conscience dans la gare d’arrivée du Terminal Aérospatial de Windsor, sur Terre. Il passe sans anicroche, les uns après les autres, les systèmes de contrôle hyper-perfectionnés. Normal, il est programmé pour cela : sa mémoire, son identité complète, le but de son voyage ne lui reviennent qu’après, pendant son transit en train magnétique vers Grande Jonction, en territoire autonome mohwak : il est un tueur. Il a un contrat à remplir.

Il est là, débarqué en fin d’été, le 25 août, en librairie. Plutôt bien en place d’ailleurs, comme quoi Dantec reste une valeur sur laquelle on parie, malgré (ou peut-être grâce à ?) l’odeur du soufre. Cosmos Incorporated, c’est le titre.

La couverture ? Indéchiffrable. Un cordon électrique rouge arraché au téléphone ?
Ou peut-être une queue de homard escaladant un tableau de bord ? Les éditions Albin Michel ont évité la mention "Science-Fiction", bien sûr, ça fait fuir le lecteur. Le bouquin est donc en vue au rayon littérature générale, près du Houellebecq avec lequel il pourrait, dit-on, partager le top des ventes.
Pourtant c’est bien de SF qu’il s’agit.

Alors, après ses récents dérapages, Maurice G. Dantec est-il redevenu un auteur lisible et recommandable ? A voir...

Reprenons l’intrigue : les premiers pas de Plotkine à Grande Jonction, son installation dans un hôtel à capsule des hauteurs de la ville, assisté par Métatron, une sorte d’Intelligence Artificielle qui prend forme directement sur sa pupille sous la forme d’un génie de flammes, tout cela est plutôt bien mené.

L’univers de Cosmos Inc. n’a rien de radicalement neuf : I.A., nanotechnologie, quelques logos en forme de repère [une robe Chanel-IBM et un costume Armani-Apple du meilleur goût], des rebelles religieux réfugiés dans une Heavy Metal Valley, un systéme politique en vrac, un front de libération des androïdes, la mafia russe derrière tout cela, bref on est proche de William Gibson, Bruce Sterling ou Neal Stephenson.

La particularité de Dantec, c’est ce style heurté, volontiers répétitifs, cadencé. Haché. Pas désagréable, plutôt vivifiant. Les pièces du puzzle s’emboîtent, on avance.
il y a quand même un malaise : le background géopolitique à un arrière-goût nauséabond lorsqu’on a lu les missives de Dantec au pays du "Bloc identitaire". Car dans Cosmos Inc., il est arrivé au Monde ce que Dantec prédit qu’il va nous arriver (quel meilleur moyen de se donner raison ?).

Donc, sur la Terre de Cosmos Inc., le Grand Djihad a mis à bas la culture occidentale. Oui, des hordes d’islamistes ont déferlé sur l’Europe, à commencer par la France. La Charia a été instaurée en France, et jusqu’au Michigan et à Washington DC, car la Seconde Guerre Civile américaine, bien sûr, a fait explosé les États-Unis.

La guerre terminée, c’est une démocratie globale administrative qui dirige une bonne part de ce qui reste de l’Amérique, l’UMHU, l’UniMonde Humain, dont la devise est "Un Monde pour tous - Un Dieu pour chacun". Dantec appelle cela l’Unimanité. Bref, c’est un cauchemar. Un cauchemar malsain.

Mais l’angoisse du lecteur s’apprête à monter encore d’un cran. Car au fur et à mesure que l’intrigue avance (lentement, à 8 km/heure... Dantec prend son temps), voilà que l’histoire de Plotkine passe au second plan, mise hors jeu par l’apparition d’un couple de mutants frère et sœur, Vivian et Jordan McNellis. ET A PARTIR DE LA, ATTENTION, RIEN NE VA PLUS : les majuscules poussent comme des champignons hallucinogènes, il est question de Il/Elle, de l’Homme-venu-du-Camp, de Corps, de Chair, de Parole se faisant Acte, de Création par le Mot, de Je/Autre et de Dieu, évidemment. Et attention, il ne s’agit pas d’un paragraphe ou deux, non : ça dure des dizaines de pages.
Parfois l’intrigue revient, les personnages agissent... et quand on ne s’y attend pas PAF, retour des majuscules, de l’Anté-Monde, de l’Enfant-Machine, trois citations évangéliques par-ci, un peu de Talmud par-là, un Aleph bien placé... Aaaarrggghhhh !!!!
Personnellement, je n’ai pas réussi à suivre.


Après Villa Vortex, c’est la deuxième fois que Dantec me sème en route... J’ai bien retenu que Metatron était en réalité un archange (L’Assomption de Marie, c’est lui en fait, et plein d’autres trucs), que Plotkine n’était qu’un simulacre, mais pas vraiment. J’ai bien appris quelques mots comme "multiplexification". Et puis, j’ai cédé : le livre m’est tombé des mains.

Ceux qui, comme moi, ont déjà tenté l’ascension du Dantec par la face Nord, savent de quoi je parle. Quant aux autres, essayez au moins une fois. Ça fait pas mal. Et après, on est tellement content de lire un vrai livre.
thierryhornet
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le 1 mai 2013

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