Coulez mes larmes, dit le policier est un roman charnière dans la bibliographie de Philip K. Dick puisque c'est sa dernière publication avant sa plongée corps et âme dans le mysticisme religieux, retranscrit d'un point de vue littéraire dans la Trilogie Divine, mais également parce que cet ouvrage fait office de rupture entre ses écrits des années 60 et ceux de la décennie suivante.
Dans un état-monde policier où les différences sociales et ethniques sont profondément marquées, Jason Taverner est un showman adulé par des dizaines de millions de téléspectateurs. C'est un être imbu de lui-même, orgueilleux et sûr de son talent. Normal après tout puisque c'est un Six, un être supérieur issu d'expériences génétiques secrètes. Mais voilà qu'un jour après un accident il se réveille à l'hôpital et constate médusé qu'il n'existe plus. Plus personne ne le connaît, pas même sa compagne qui est pourtant un Six comme lui. Par ailleurs aucune banque de données dans le monde n'a de trace de lui. Il devient ainsi un fantôme social dans un monde où, lors des fréquents contrôles d'identité, si l'on présente un défaut de papier on est immédiatement envoyé dans un camp de travail faisant office de camp d'extermination...
Coulez mes larmes, dit le policier est divisé en deux parties distinctes. La première est la chute de Jason Taverner et sa quête pour comprendre ce qui lui arrive. La seconde est dédiée à Felix Buckman, le général de la Police qui enquête sur le cas Jason Taverner car il sent qu'un étrange mystère entoure l'existence, ou plutôt non-existence officielle, de cet homme. Enfin, la fin du livre est quant à elle consacrée aux explications et au(x) dénouement(s). Et concernant ces derniers, croyez-moi qu'il faut être bien accroché à sa chicane pour les accepter.
Sans rien en dévoiler, force est d'admettre que j'ai été très déçu par les explications scénaristiques. En grand fan de l'auteur je me suis habitué à ses conclusions parfois expéditives et abruptes mais là, bien que tout soit expliqué, j'ai trouvé ça vraiment light. Je précise que je parle de la forme, car le fond, lui, est dans la droite lignée de ce à quoi Dick nous a habitués. Ainsi, tout au long du livre, on retrouve ses sempiternels marronniers que sont la quête de la vérité, la notion de réalité(s), les faux-semblants et l'ineffable manipulation.
Par contre, à mon sens, là où le roman innove c'est bel et bien avec l'introduction d'un nouveau thème; l'amour. Ce dernier est tellement prégnant qu'il en vient purement et simplement à faire de l'ombre à ses petits camarades. En effet, l'état totalitaire, la manipulation des masses (etc,...) sont suggérés. Tout est suggestion et laissé à la compréhension et l'appropriation du lecteur.A titre d'exemple on sait que Jason est un Six, qu'il est génétiquement modifié et que les individus comme lui sont rares et peu appréciés du Gouvernement mais voilà, on en saura pas plus. Pourquoi ? Comment ? Qui ? Que ? Quoi ? Dont ? Wooot ? Bah non, démerdez-vous, ce n'est pas le propos.
Non, ici Dick prend le temps de digresser sur l'Amour avec un grand A. De celui qui nous lie à une boule de poils à celui qu'on porte à un enfant en passant par l’inconditionnel partagé avec un être cher. Alors autant vous le dire, ce n'est pas toujours follement passionnant. Par contre ces passages ont le mérite d'humaniser les protagonistes et de leur donner une réelle épaisseur lors de leurs actions. Donc au fond, on peut dire que c'est une qualité. C'est surprenant lorsqu'on est habitués aux écrits 60's de Dick mais les composantes SF, suggestives ou non, qui accompagnent ce parti-pris aident à faire passer la pilule. Et Dick, les pilules, il aime ça !
En conclusion, Coulez mes larmes, dit le policier, est un roman de Philip K. Dick un peu à part. En lisant la préface on comprend toutefois un peu mieux pourquoi. Il l'a écrit pendant 10ans, a connu son quatrième divorce qui le priva de sa petite fille et sa consommation excessive de drogue(s) l'a conduit à avoir des visions dépassant le temps et l'espace...Donc voilà, c'est un livre chargé d'histoires. Quant à celle du livre, j'aurais tendance à la recommander en priorité aux connaisseurs de l'auteur. Pour les autres, si vous voulez vous initier avec l'un, si ce n'est le, plus grand auteur de SF du XXe siècle, je vous invite à vous tourner vers d'autres ouvrages.