Premier roman de St-Ex, Courrier du sud nous emmène à la rencontre de Jacques Bernis dont on peut se douter qu'en filigrane il partage quelques liens biographiques avec St-Ex. Aviateur à l'aéropostal, il se remémore son enfance et... Geneviève. Le portrait de cette femme se veut quelque peu complexe. Dès les débuts du roman, elle est présentée comme inaccessible : une camarade de jeu plus âgée et d'une maturité avancée, susceptible davantage de veiller sur Jacques Bernis comme une mère que de devenir son amante. Sage, prévenante, elle fait montre d'une attention toute maternelle vis-à-vis de ses petites camarades.
Devenue adulte, Genevièvese se retrouve mariée à un être sans envergure qui semble trouver son confort dans le maintien des apparences propres à sa classe sociale et se noie dans la fatalité lorsqu'il s'agit d'aborder des sujets graves, Huin. Cela en devient tragique lorsque Geneviève perd son seul enfant et qu'au lieu de se montrer soutenant, il l'accable lui reprochant une certaine légèreté quant aux soins apportés. Mais... Geneviève n'attend déjà plus rien de cet être pour lequel au mépris vient se substituer l'indifférence. Geneviève n'est déjà plus là... Elle appartient déjà aux vieilles pierres de la maison, au mobilier qui traverse les âges, à tous ces gestes répétés depuis des générations et sur lesquels le temps n'a plus prise. Une ultime rébellion de l'âme la conduite à brièvement vouloir s'échapper avec Jacques Bernie, ce petit garçon aventurier devenu aviateur pour l'aéropostale. Mais entre elle et lui, le temps a passé et désormais deux mondes s'opposent.
Geneviève d'un côté a toujours vécu entourée de la promesse d'un lendemain semblable aux jours précédents (du moins jusqu'au décès de son fils), où tant les choses que les êtres offrent une promesse de stabilité. De son côté, Bernie, lui, semble s'échapper sans cesse d'un lendemain incertain et d'un passé étranger à Geneviève où rien ne semble destiné à durer et où les distances avalent les amitiés. Seul, Jacques Bernie est un funambulle, volant d'un lieu à l'autre au mépris des caprices du temps. Sa mission a pris le pas sur lui-même. Il faut voler, réparer sans attendre, que le courrier parte. Devenu instrument, il ne se permet plus d'être, laissant le soin aux autres de livrer leurs confidences lors de ses courtes escales.
Très vite, l'escapade entre Jacques Bernie et Geneviève tournent court,tant ils conçoivent peu à peu leurs différences et l'impossibilité de leur amour. Chacun retourne donc à sa solitude au point que lorsque Jacques vient rendre visite à Geneviève sur son lit de mort, cette dernière ne le retient pas. Il n'est définitivement plus le petit garçon aventureux qu'il a connu. Ses traits ont changé et dans son agitation, peut-être est-il devenu aussi familier que le perron de larges pierres qui horne l'entrée, promesse de l'immuabilité des choses. Il est cet aviateur qui s'arrête furtivement et à qui l'on demande de raconter ses voyages mais qui, lui, sait que villes, mers, patries sont toutes les mêmes. Elle, déjà plus ou encore si peu, se confond peu à peu avec le décor qui la bercé toute sa vie.
L'auteur nous livre ici des approches un peu stéréotypées mais néanmoins réalistes d'appréhension de la vie. Très présent, l'aspect figé des décors et de l'environnement permet de mettre en perspective la petitesse des hommes et leur caractère éphémère. À cet immobilisme vient se heurter l'inattendu quasi exclusivement tragique : l'ennui mécanique, la perte de repères, la mort. Néanmoins, même lorsque cette dernière survient, elle semble bien souvent poursuivre une trajectoire tracée d'avance et inévitable.