Premier roman de Saint-Exupéry, « Courrier sud » est peut-être aussi la plus mélancolique de ses œuvres. Récit kaléidoscopique de la vie de Jacques Bernis, pilote de l'aéropostale, c'est aussi une plongée dans le paradis perdu de l'enfance, dans un monde de souvenirs qui n'est plus. La frontière entre le monde des enfants et celui des adultes est perméable, et on ne sait jamais si ce sont les enfants qui grandissent trop vite ou les adultes qui ne le deviennent jamais complètement. Histoire terriblement humaine, de regrets, « Courrier sud » est également le récit d'une certaine nostalgie de l'idéal, de mondes irréconciliables : celui d'un homme et d'une femme que tout oppose. Jacques et Geneviève ont grandi ensemble aux côtés du narrateur. Le premier, de condition modeste, est devenu pilote ; la seconde, d'ascendance plus aisée semble-t-il, s'est mariée à un bourgeois vaniteux et cuistre, mariage de raison... ou folie ? Quand Jacques veut l'arracher à ce mari pesant, tout vacille... Alternant le temps de l'aviateur, dans son avion, ou de ses coéquipiers et amis, suivant à terre son périple, et le temps des souvenirs, les conversations avec Geneviève, les échappées le temps d'une escale, le narrateur nous perd quelque peu et tout se mélange. On est comme la tête emplie de pensées, entre l'ici et maintenant et l'ailleurs, le passé. Peu ou pas de futur, tout est nostalgie. En cela, « Courrier sud » est un roman tragique, le récit d'un manque, d'une paix impossible. Usant d'une langue riche et simple à la fois, Saint-Ex narre avec talent les aventures de ces personnages, cet homme et cette déesse inatteignable, lointains et proches à la fois. Notons l'acuité avec laquelle l'auteur dépeint des sentiments subtils et complexes, sans psychologisme de bas étage, avec une grâce et une profondeur sans pareils. Un très beau roman, très triste aussi.
Critique à retrouver sur mon blog ici.