Loin d'être un roman à la narration primordiale avec une histoire développée et capitale, Cranford se veut plutôt pensé comme une succession de petites saynètes, un agglomérat de petits faits divers qui ont cours dans une petite ville assez unique de par sa composition.
Refuge de vieilles filles et de veuves à l'indépendance revendiquée, la ville est aux Amazones comme nous le dit l'auteure dés le début du roman. On suit dés lors grâce à une narratrice extérieure, qui vient séjourner de temps en temps à Cranford, le remue ménage que provoquent des soi-disant voleurs, le décès de certains membres de la "communauté", la venue d'un magicien ; on a aussi l'occasion de de retrouver certains évènements passés (comme la fuite de Peter, le frère de la meilleure amie de la narratrice) qui donnent un semblant de fil narratif à l’œuvre.
Et si le début est un peu mou et tarde à créer des liens entre le lecteur et les différents personnages, cela vient naturellement par la suite, et l'on s'amuse à suivre les "pérégrinations" de cette bande de femmes parfois ridicules, mais souvent attachantes, qui s'inventent de terrifiantes histoires de cambriolage et parcourent les cuisines sur le qui-vive tout en tremblant de tous leurs membres à la recherche des malfrats.
L'écriture d'Elizabeth Gaskell est un régal, de limpidité, de sobriété et de classe et retranscrit à merveille le caractère orgueilleux jusqu'à l'absurde de ces personnes aux revenus plus modestes qu'elles ne laissent apparaître, qui sont dans le paraître, mais qui au final révèleront un cœur bon et généreux pour leur semblable (Miss Matty).
Finalement Cranford est une leçon d'écrivain qui montre comment tirer le meilleur de la banalité, comment raconter des choses amusantes à partir de rien, comment faire vivre un petit groupe de personnages qui n'a rien d'extraordinaire.
Avec style et élégance.