Le nouveau roman de Philippe Claudel nous emmène au début du XXe siècle, aux confins de « l’Empire », dans un coin perdu et indéfini que l’on situera du côté des Balkans. Un curé est retrouvé mort, la tête fracassée. Point de coupable à l’horizon. L’enquête est confiée au policier en chef de la ville, Nourio, accompagné de son adjoint Baraj. Mais le travail s’annonce compliqué dans ce pays aux hivers longs et sombres, où la population, majoritairement chrétienne, cohabite une petite communauté musulmane. Mais Nourio a de la ressource, et voilà que l’enquête le conduit chez le sabotier du coin, à la rencontre de la jeune adolescente qui a découvert le corps du curé. Cette dernière va attiser le désir chez cet homme aux pulsions incontrôlables qui va devenir complètement obsédé par elle.
À la lecture de ce nouveau roman de Philippe Claudel, on pense évidemment à deux de ses plus fameux livres que sont Les âmes grises, mais surtout Le Rapport de Brodek (superbement adapté en bande dessinée par Manu Larcenet). Cette fois encore, il y a d’abord l’envie de savoir ce qui se trame derrière ce meurtre incompréhensible, mais très vite, on est partagé entre divers sentiments : le trouble, le dégoût, la curiosité, la fascination pour ce monde dans lequel les hommes ont tendance à se comporter comme des bêtes, des êtres guidés avant tout par leur instinct et leurs pulsions. Et l’on sent, à travers les descriptions de cet univers hanté par la mort, que l’auteur lorrain est fasciné par ces êtres bruts, par cette violence sourde, par ces hommes pleins de vice et de peu de vertu, aussi rustres que grossiers.
On l’aura compris, il y a bien un peu de lumière dans ce ténébreux récit, ce faux polar, ce roman d’atmosphère très prenant, où l’auteur évoque, en filigrane, les rapports entre communautés religieuses, la persécution, la manipulation, les génocides, et où presque personne n’est épargné.
Au-delà du propos et de la dimension mythologue qui renferme, au-delà du conte morbide aux accents métaphoriques, on appréciera une fois encore le style précis, la langue travaillée de l’auteur pour dépeindre – pour ne pas dire peindre – un monde grotesque et effrayant, une représentation de la face la plus sombre de l’âme humaine, des obsessions malsaines et des désirs de domination qui conduisent souvent au pire.
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