Cujo, j'ai beaucoup hésité avant de le lire. Le pitch "un chien devient fou" ressemblait par trop à celui de Christine "une voiture devient folle" et je m'étais imaginé une apothéose à base de chien attaquant les habitants d'une petite bourgade qui ne me disait pas plus que ça. Et j'ai eu tort, car Cujo n'est pas juste l'histoire d'un chien qui devient fou. C'est plutôt l'histoire de deux familles aussi différentes (les ruraux - les urbains, les ouvriers - les cadres) que semblables (épouse frustrée, enfant un peu prescient, mari aveugle à la décrépitude du foyer). Et bien sûr il y a Cujo, un bon gros Saint Bernard débonnaire qu'une morsure de chauve-souris enragée va rendre fou. Le processus dure plusieurs semaines et il est parfaitement décrit (si vous voulez voir à quoi ressemble un chien enragé, c'est le bon spot).
Déjà, KIng prend beaucoup de soin à décrire sa galerie de personnages, leurs vies compliquées et ces frictions entre adultes et enfants qui se cotoient sans vraiment se comprendre. Certains pourraient trouver cette phase de présentation un peu longue comparé au drama, mais c'est pourtant ce qui donne au livre tout son sel : il ne s'agit pas de fantastique mais d'un fait divers du quotidien qui tourne mal, très mal, et vient bouleverser en bien ou en mal des existences qui étaient de toute façon à un point de rupture.
On sent venir la confrontation entre Cujo et ses victimes, King posant petit à petit les jalons et quand enfin survient le moment critique où
une femme et un enfant sont coincés dans une voiture en panne en pleine canicule dans un endroit paumé avec le chien qui les empêche de sortir et essaye de les tuer.
on sait globalement comment cela va se passer et pourrait se terminer. C'est le grand classique du huis clos où l'ennemi de l'extérieur bloque la sortie. Paradoxalement, alors qu'il a pris beaucoup de soins à construire le drame, King ne s'épanche pas trop sur ce huis clos (qui dure certes un bon tiers du roman, mais entrecoupé d'aparté sur ce que deviennent les autres personnages). La femme et l'enfant sont bloqués et ne cherchent pas vraiment à trouver de solutions à leur problème sauf à attendre l'arrivée d'un sauveur extérieur. Les phases de doute comme la recherche obsessionnelle de solution à des petits problèmes (boire, uriner, se protéger de la chaleur) ou la peur de la mort sont esquissés très superficiellement. Beaucoup plus que dans l'autre grand roman de King sur un sujet similaire, Jessie dans lequel l'auteur passe pour le coup vraiment trop de temps à décrire les efforts de la pauvre Jessie, menottée à son lit par son mari qui a fait une crise cardiaque en plein ébat.
Cujo n'est pas le meilleur King, mais il a tous les ingrédients qui font aimer l'auteur et reste assez court (350 pages) pour ne pas lasser.