Publié en 2010, et en 2011 en français (traduction de Françoise Brun chez Liana Levi), «D’acier» est l’impressionnant premier roman de Silvia Avallone ; il se déroule en 2001, année des attentats du 11 septembre à New-York et du retour au pouvoir de Silvio Berlusconi, dans un quartier populaire de Piombino, ville industrielle où l’auteur a grandi.
Dans les barres d’immeubles construites face à la mer pour les ouvriers des aciéries à l’époque du boom des logements sociaux, dans des appartements plombés par la fournaise estivale, les violences conjugales et une télévision qui diffuse à longueur de journée des programmes avilissants, Anna et Francesca, deux adolescentes de treize ans, se retrouvent pour échapper ensemble à l’enfermement et à la violence de leurs foyers, en échafaudant des rêves de fuite, de séduction et d’avenir lumineux, en forme d’illusions.
«Ça veut dire quoi, grandir dans un ensemble de quatre barres d’immeubles d’où tombent des morceaux de balcon et d’amiante, dans une cour où les enfants jouent à côté des jeunes qui dealent et des vieilles qui puent ? Quel genre d’idée tu te fais de la vie, dans un endroit où il est normal de ne pas partir en vacances, de ne pas aller au cinéma, de ne rien savoir du monde, de ne pas feuilleter les journaux, de ne pas lire de livres, où la question ne se pose même pas ?»
Rappelant le «Corniche Kennedy» de Maylis de Kerangal, Silvia Avallone raconte avec force et précision l’exaltation des corps adolescents sur une plage aussi délabrée que les barres HLM, «cette espèce de furie qui accompagne l’éclosion du corps», et l’énergie des aciéries qui cuisent le métal, polluent, et aspirent les vies des hommes de la cité.
« Il jeta un coup d’œil à la blonde du calendrier Maxim. L’envie de baiser, constante, là-dedans. La réaction du corps humain dans le corps du Titan industriel : bien plus qu’une usine, c’était la matière elle-même en transformation. »
«D’acier» est surtout un roman puissant qui dénonce les vies laminées par la dureté du travail à l’usine, le manque d’argent et d’ouverture au monde, malgré la présence d’une mer idyllique et d’un ciel presque toujours bleu, qui dénonce les transformations de l’Italie de l’ère Berlusconi, la bêtise et la «pornographie» des programmes de la télévision italienne et les images stéréotypées de la femme qu’ils véhiculent, l’écrasement des femmes dans ces vies sordides, la domination et le pouvoir de l’argent, et la cruauté de la désindustrialisation.
L’île d’Elbe qu’on aperçoit des fenêtres des barres de la cité rappelle cruellement qu’un autre monde existe, mais qu’il est aussi inaccessible qu’une lointaine planète.
«Pour beaucoup, cette plage était nulle parce qu'il n'y avait pas de cabines, que le sable s'y mêlait à la rouille et aux ordures, que les égouts passaient au milieu, il n'y avait que la racaille pour y aller, et ceux de la via Stalingrado.
Partout de grands tas d'algues, qu'à la mairie personne ne donnait l'ordre de ramasser.
En face, à quatre kilomètres, les plages blanches de l'île d'Elbe brillaient comme un paradis impossible. Le royaume préservé des Milanais, des Allemands, des touristes à la peau satinée, en lunettes de soleil et Porsche Cayenne noire. Mais pour les jeunes qui vivaient dans les barres, pour les fils de personne qui suaient leur sueur et leur sang dans les aciéries, la plage devant soi c’était déjà le paradis. Le seul vraiment vrai.»
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.