Explorant les violences conjugales au sein d’un couple lesbien, *Dans la maison rêvé*e se présente comme un thriller, montrant toute la difficulté à sortir d’une relation toxique. Une grande et nécessaire réflexion.


Si les violences conjugales sont peu traitées en littérature comme au cinéma (notons tout de même L’Amour et les forêts d’Éric Reinhardt), les violences conjugales au sein d’un couple de même sexe sont carrément cachées. Le tabou est important : si, dans les couples hétérosexuels, l’homme est souvent le plus violent des deux, comment expliquer qu’il puisse exister des violences au sein d’un couple composé de deux femmes ? Comme le fait remarquer Carmen Maria Machado, il y a un paradoxe : si les féministes lesbiennes cherchent à s’affranchir du patriarcat et de la violence innée des hommes, comment peut-on expliquer qu’une femme puisse faire du mal à une autre femme ? La peur de parler et de de compromettre l’image de la communauté lesbienne existe : « Mais putain, arrête de donner une mauvaise image de nous. »


Lorsque Carmen Maria Machado, encore jeune écrivaine, rencontre une femme attirante, jamais nommée, c’est le coup de foudre. Elle semble attentionnée, attentive et à l’écoute. Elle fait aussi diablement bien l’amour. Mais la machine se dérègle : cette femme devient possessive et jalouse. Elle agresse verbalement Carmen Maria Machado, l’insulte et, parfois, la heurte physiquement. Ces instants de colère et de folie sont suivis de moments de pardon où la coupable avoue ne plus se souvenir de rien.


Dans la maison rêvée se distingue de plusieurs manières, et figure parmi les grands moments de cette rentrée littéraire 2021. D’une part, le sujet, peu traité, est tenu à bras le corps par l’auteur : à la manière d’un thriller, d’une angoisse lancinante, le lecteur comprend peu à peu que Carmen Maria Machado se retrouve piégée dans une relation toxique. Les concepts clefs pour comprendre les violences conjugales sont abordées (« Plus tard, tu apprendras qu’un facteur récurrent de la violence conjugale est la « dislocation ». À savoir que très souvent la victime vient de s’installer dans un nouveau lieu, ou a atterri dans un endroit dont elle ne parle pas la langue, ou a été coupée de tout soutien, de ses amis ou de sa famille, et ne peut plus communiquer. ») Passant de l’euphorie de la naissance du sentiment amoureux à la crainte, la haine et l’acceptation, le lecteur vit réellement aux côtés de l’écrivaine. Toutes les recherches théoriques parsemées le long du livre amènent des réflexions bienvenues.


D’autre part, Carmen Maria Machado a choisi une forme particulière pour raconter son histoire et s’en détacher. L’utilisation de la deuxième personne du singulier souligne la nécessaire prise de distance de l’écrivaine par rapport à la Carmen Maria Machado qu’elle était à l’époque. Découpé en brefs chapitres manipulant différents genres littéraires, Dans la maison rêvée passe de la marche nuptiale à l’univers parallèle sans oublier l’avertissement, le diagnostic, le soap opera, etc. Cette construction littéraire apporte une réelle réflexion sur ce que l’on choisit de dire d’une histoire compliquée, et comment le dire.


« La Maison rêvée à la manière d’un problème d’arithmétique :
Une femme habite à Iowa City puis déménage à Bloomington, dans l’Indiana, à six cent cinquante-sept kilomètres. Sa petite amie, qui l’aime énormément, accepte de se lancer dans une relation à distance. Elle ne réfléchit pas deux secondes et répond qu’il faudrait être maso pour refuser. (Elle le dit sans aucune ironie.) Elle passe l’intégralité de sa deuxième année d’université à faire la navette entre Bloomington et chez elle. Elle le fait de bon cœur. En un trajet, elle a le temps d’écouter soixante-quinze pourcent d’un livre audio. Sachant qu’elle conduit à cent cinq kilomètres-heure et qu’un livre audio dure en moyenne dix heures, combien de mois lui faudra-t-il pour qu’elle prenne conscience qu’elle a gâché la moitié de son master à conduire ainsi jusqu’à la maison de sa petite amie pour se faire hurler dessus pendant cinq jours ? Et combien de mois lui faudra-t-il pour digérer le fait qu’elle ne doit s’en prendre qu’à elle-même ? »

JulienCoquet
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le 20 août 2021

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Julien Coquet

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