La veille du douze janvier 2010, « tout pouvait reprendre »… A travers les destins croisés d’haïtiens, l’auteur commence par décrire Port-au-Prince à la veille du tremblement de terre. Dans l’ancienne maison close où le vieux Prophète Coicou se souvient avec nostalgie de la légèreté des plaisirs, la salle du bar accueille ses amis autour de parties de dominos. C’est une société bigarrée et joyeuse qui parle politique, où les anciens pansent les plaies de la dictature passée, et où les jeunes cherchent une reconnaissance sociale. Autour d’eux gravitent différents quartiers et couches sociales, des préjugés et des non-dits, et d’autres portraits appartenant au tableau. Pourtant on sent le même frémissement d’optimisme pour l’avenir. Saul et Lucine incarnent la jeunesse qui choisit de s’affranchir de chaînes familiales pour se construire une vie libre et épanouie, sous le regard bienveillant et apaisé des plus âgés.
L’écriture de Laurent Gaudé est extraordinairement simple et attachante. On se promène dans les rues et on regarde souvent les personnages avec tendresse. L’union amoureuse de Saul et Lucine est exprimée dans un véritable dialogue poétique.
Ce monde va basculer avec le séisme et ce temps si proche va devenir de plus en plus lointain au fur et à mesure que s’éternise le chaos. Ce basculement est bien montré comme une scène au ralenti, le chaos illustré par l’opacité des gravats et des poussières, l’hébétude et la douleur des survivants. Ressurgissent alors les croyances vaudou et la frontière entre les vivants et les morts devient floue.
Il y a un vibrant hommage à la solidarité immédiate de la communauté haïtienne, au dévouement pour les plus jeunes ou les blessés. Pour la suite, l’avenir le dira, tout est à écrire.