Un duo d'enfer, ou peu s'en faut

UN DUO D'ENFER, OU PEU S'EN FAUT (?)

L'Apocalypse aura lieu samedi prochain, après le thé. Ainsi en ont décidé, d'un accord commun, les forces du Bien et celles du Mal. L'Antéchrist va fêter ses onze ans. Son éducation a été supervisée par un ange, Aziraphale, et un démon, Rampa, résidant sur Terre depuis l'époque de la première pomme. Mais voilà, suite à un coup du sort, l'enfant a été échangé à la maternité. Le véritable Antéchrist se nomme Adam et vit dans la banlieue de Londres. Et, ça, ça change tout. Une course contre la montre commence alors pour l'ange et le démon, qui, finalement, se disent que la race humaine ne mérite pas son sort.

De Bons Présages, un petit pavé de 500 pages écrit à quatre mains (et probablement avec une intervention divine dans le processus) par Terry Pratchett et Neil Gaiman. Petite histoire, le jour où ce bouquin s'est retrouvé dans mes mains, je n'avais aucune intention de l'acheter. La veille, après avoir dévoré American Gods — toujours ce bon Neil —, j'étais décidée à acheter Anansi Boys et, comme les deux livres sont tous deux édités par J'ai Lu et qu'ils se ressemblent, j'ai chopé De Bons Présages à la place. À ma sortie de la librairie, quand je m'en suis rendue compte, je n'avais plus d'argent sur moi et ma journée venait d'être ruinée. M'en faut peu.

Voilà pour ça. Au bout du compte, j'ai fini par lire le livre, et sapristi ce que j'ai aimé. Faut croire aux signes du destin, parfois, c'est moi qui vous le dis.

En vrac : Un ange et un démon stupidement sérieux (ou sérieusement stupides), un chasseur de sorcière sur la paille qui adore les tétons, un apprenti chasseur de sorcière sur la paille qui adore les sorcières, une occultrice à bicyclette qui prend des entités surnaturelles pour des homosexuels, une vieille dame tenant des séances de relaxation pour gentlemen avisés, la guerre, la famine, la pollution, la mort, puis une fin heureuse. Ah, et, quelque part, Dieu, Queen et Elvis Presley.

Outre le fait que le concept même de l'intrigue est franchement cool (un Armageddon des temps modernes qui tourne au fiasco), tout est absolument hilarant dans ce bouquin. On a l'impression que Neil et Terry ont pesé chaque virgule pour la rendre la plus drôle possible. De Bons Présages, c'est un livre où vous souriez. Beaucoup. Tout le temps. Mêmes les notes de bas de page sont funs. Vous retrouvez cette façon qu'a Neil Gaiman, comme dans American Gods, de nommer les objets par le nom de la marque, ce qui fait qu'on est tout de suite plongé dans l'ambiance un peu funky du siècle dernier. Ce livre a un côté vintage qui va faire reluire votre journée et vous serrer la poitrine.

À part ceci, les différentes dynamiques entres les personnages marchent du tonnerre. Parce qu'au fond, ce qui m'a plu dans ce livre, ce n'est pas tant le scénario que ceux qui le font marcher. Les deux protagonistes, Aziraphale l'Ange et Rampa le Démon, sont deux idiots qui ont traversé les âges en devenant amis sans l'avoir jamais vraiment souhaité. Et pourtant, les voilà : ils s'aiment bien, ils aiment bien la Terre, et ils aiment bien les humains (enfin ça leur arrive). Puis, imaginez. L'Éternité coincé aux Enfers ou au Paradis, sans pouvoir manger un bon petit quelque chose dans un restaurant chic ou se saouler trois heures durant avec votre meilleur ami. Ça n'en vaut pas la peine, donc ils décident de sauver la planète. (Du moins, pour Aziraphale. Rampa va passer les trois quarts du bouquin à faire les choses avec moitié moins de conviction ; puis à un moment donné, va péter les plombs et traverser une autoroute démoniaque avec une Bentley très classe. C'est tout. Sinon j'adore le personnage.)

La relation entre l'ange et le démon est à la fois drôle et attendrissante, et c'est pareil pour le reste des héros et héroïnes, plus humains. On a deux autres couples, qui sont tous deux une espèce de tandem "mauvais chasseur de sorcière / femme déterminée qui fait des trucs avec les esprits ou les auras". Les deux chasseurs en question, Shadwell et Newt, sont comme le jour et la nuit. Shadwell est à moitié fou, avec un accent proprement attachant et insupportable, plutôt vieux et c'est celui qui a, à mon sens, les répliques les plus drôles du livre (il est en fait le personnage que je trouve le plus drôle de façon générale). Newt est un jeune homme doué dans pas grand chose et perdu la majorité du temps ; lui aussi a une voiture particulière, quoique moins classe, et un sérieux souci avec l'informatique. Quant à leur sorcière, j'ai nommé Madame Tracy et Anathème, elles paraissent franchement intelligentes et rafraichissantes dans un livre un peu plus masculin, où tout le monde dérape. Glisse. Est un peu con-con, quoi. Mais toujours dans le bon sens et avec beaucoup de volonté, je vous l'assure.

Enfin, je pourrais encore en taper des lignes et des lignes sur ce bouquin. Toutefois, j'arrête de vous gâcher le plaisir, voici les passages qui m'ont le plus marqué, qui m'ont fait rire... ou pas :

— Gloire à Satan !
— Gloire à Satan, reprit Ligur en écho.
— Salut tout le monde ! lança Rampa.

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De la musique douce pour se détendre, voilà ce qu'il lui fallait. Il l'enfonça dans le lecteur Blaupunkt.
"Ohmerdemerdemerde. Pourquoi maintenant ? Pourquoi moi ?" grommela-t-il tandis que déferlaient les accords familiers de Queen.
Et soudain, Freddie Mercury s'adressa à lui.

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Au moment où ils dépassaient un agent de la circulation stupéfait, son carnet de contravention entra en combustion spontanée, à la surprise de Rampa.
"Je suis à peu près certain de ne pas être responsable de ça."
Aziraphale rougit.
"C'est moi, admit-il. J'ai toujours cru que ces gens-là étaient une de vos inventions.
— Tiens ? Nous avons toujours pensé le contraire."
Rampa contempla la fumée dans son rétroviseur.
"Allez, on va au Ritz."

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Newt relut la fiche. On entendait dehors un fracas qui évoquait une plaque de tôle qui rebondissait d'une extrémité à l'autre du jardin. C'était exactement ça.

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J'aurions ta peau, sale bâââtard ! hurla-t-il en s'avançant comme un ange vengeur mangé aux mites. J'savions ben c'que tu mijotes, à v'nir ici séduire les fââmmes et les soumettre à ta volonté perverse !
— Je crois que vous vous êtes trompé de boutique, répondit Aziraphale.

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— Ngk, dit Rampa.

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Sous la cendre et la suie qui lui ponctuaient le visage, il avait l'air très las, très pâle, et très effrayé.

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RAMPA (ange qui n'a pas franchement déchu ; disons plutôt vaguement trébuché)

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Voilà voilà. Après réflexion, ce ne sont pas les passages les plus marrants mais je trouve qu'ils donnent envie de lire le bouquin. Enfin, et quand bien même De Bons Présages soit finalement devenu un de mes livres préférés (oui à ce point), je ne lui met pas 10. Avant de gribouiller ma propre critique, j'en ai lu d'autres et, en réalité, elles sont plutôt dans le juste : ce bouquin est dense. Et probablement un poil trop. J'ai dû mettre des annotations pour me retrouver dans les différentes parties de l'histoire à la relecture, alors que ce n'est pas spécialement compliqué, c'est même assez linéaire. Toutefois, le livre a tendance a digresser, ce qui n'est pas pour me déplaire puisque c'est toujours agréable à lire mais, à raconter des choses qui n'ont pas de conséquence réelle sur l'intrigue, on s'y perd, et le tout devient lourd.

Sinon, je le recommande chaleureusement. Si vous voulez lire une histoire légère et touchante, laissez-lui une chance ! Vous pourriez être surpris. Je pense qu'Aziraphale et Rampa peuvent en ravir plus d'un.