Ce petit traité est pour le moins déroutant pour le lecteur moderne qui, après 1600 ans de christianisme et trois ou quatre décennies de mièvreries New Age, conçoit habituellement l'âme sous une forme radicalement éthérée et séparée du corps ou de toute matérialité. Aristote, en effet, pour tenter de comprendre l'âme, ne se lance pas dans une étude spirituelle et métaphysique, mais se plonge au contraire dans l'étude des sens et de l'intelligence en donnant des exemples concrets chez les plantes, les animaux ou les hommes.
Pour Aristote, l'âme se définit en fait comme principe de vie. Le livre pose donc cette question à laquelle nous n'avons toujours pas de réponse claire, et dont le problème est réactualisé par le développement de l'intelligence artificielle : à savoir, qu'est-ce que la vie ? En cela, le De l'âme a donc sans doute encore quelque actualité. C'est donc en observant la façon dont se manifeste la vie chez les différents êtres vivants qu'Aristote essaye de comprendre l'âme. Il constate des différences de facultés chez les vivants, qu'il dénombre plus ou moins ainsi : le nutritif, l'appétitif, le sensitif, le mouvement, le cognitif et l'intellection. Ce qui est commun à tous les êtres vivants, c'est le nutritif. L'âme, donc, n'est ni plus ni moins définie par des facultés devant, au fond, simplement permettre le maintient de la vie et sa reproduction.
Mais donc, quelle est la place de l'âme vis-à-vis du corps ? Pour Aristote, elle n'est ni détachée du corps, ni tout à fait matérielle. L'âme, en effet, n'exerce que grâce à des organes, qui sont les outils de ses facultés ; de plus, c'est bien grâce à un corps que la vie est possible, et la vie disparaît quand le corps se dégrade. Mais toutefois, on ne peut réduire l'âme au corps puisque les facultés n'existent pas en tant que telles, elles sont possibles, elles sont réalisables, même si elles ne se réalisent que grâce au corps et à un support matériel extérieur. Le corps, en outre, ne ressent ou ne voit que parce qu'il possède une âme : un cadavre, en effet, ne ressent ni ne voit. Il y a, de plus, une des facultés de l'âme qui est détachée de toute matérialité : c'est l'intelligence. L'intelligence, en effet, peut agir sans support matériel, de façon tout-à-fait spéculative et abstraite.
Aristote en conclut donc que l'âme est avant tout une forme, ce qui rejoint sa théorie des essences. Se pose ici la question qui a tant préoccupé les présocratiques et leurs héritiers directs, à savoir, pourquoi les choses sont ce qu'elles sont ? Pour faire simple, Empédocle explique les choses par l'amour, Héraclite par la confrontation et le changement perpétuel, Platon par des formes idéales dont la réalité n'est qu'une version dégradée, etc. Aristote revient de façon critique sur les théories de ses prédécesseurs pour proposer la sienne. Pour lui, donc, chaque chose a une forme prédéterminée qui est une réalisation potentielle : c'est-à-dire qu'un homme peut potentiellement se nourrir, avoir des instincts (faculté appétitive), se mouvoir, sentir avec ses cinq sens et réfléchir, être savant etc., pourtant, un aveugle n'en est pas moins un homme. L'essence n'est donc pas strictement biologique, mais au contraire métaphysique. C'est une forme fixe qui détermine ce que sont et peuvent être les choses.
De fait, les féministes et autres curiosités du même acabit se trompent souvent lorsqu'ils qualifient systématiquement d'essentialiste une réflexion expliquant la psychologie d'un groupe d'individus par la biologie... puisque, pour la théorie essentialiste, ce n'est précisément pas la biologie qui détermine ce que sont les choses, mais bien une forme métaphysique abstraite ! Et c'est celle-ci qui explique la biologie, pas l'inverse. Mais, de toutes façons, l'accusation d'essentialisme sert surtout à assimiler malhonnêtement une personne au nazisme pour en discréditer automatiquement le discours... Il n'en demeure pas moins, cependant, le postulat essentialiste recevoir aujourd'hui de sévères critiques qui ne me paraissent pas totalement infondées, bien loin de là. (le petit Darwin est passé là) Mais c'est un autre débat !