1923, 1953 : rédigé à une époque où les volumes de littérature érotique occupaient surtout les poches d’imperméable des vieux messieurs qui traînaient vers les urinoirs publics, publié alors que Jean-Jacques Pauvert commençait tout juste à en redécoller des pages majeures, l’essai de Desnos évite les principaux écueils qui guetteront par la suite l’immense majorité des analyses sur le sujet. Ici, en effet, nulle approche sous-psychanalytique subreptice, nul concept fumeux, nulle intellectualisation à outrance – ce à quoi n’échappe pas la préface d’Annie Le Brun pour la collection « L’Imaginaire » de Gallimard.
La théorie se limite donc à quelques principes qui m’ont paru de bon sens, énoncés dans la préface (« La morale n’implique que la recherche et la connaissance de l’homme. Elle comporte donc en soi l’étude complète des facultés sexuelles, sans condamnation ni apologie autrement que dans l’application d’une éthique aux nécessités de la vie. », p. 50) ou dans diverses digressions : « L’érotique est une science individuelle. » (p. 54), « L’amour moderne n’est pas une fiction, et la moindre différence entre le passé et le présent creuse un abîme aussi considérable que celui qui sépare les formes, cependant proches, de l’amour des fougères et de celui des hommes. » (p. 61). Répondant à son programme, De l’érotisme considéré dans ses manifestations écrites et du point de vue de l’esprit moderne – c’est le titre complet – propose moins de pure analyse qu’un passage en revue des principaux auteurs érotiques de l’histoire littéraire européenne, de Rabelais – ce qui est discutable – à Pierre Louÿs – ce qui ne l’est pas.
Autrement dit, c’est une critique à l’ancienne appliquée à un objet que la critique à l’ancienne a toujours négligé ; des œuvres marginales passées au crible d’une critique alors centrale. Et en effet, pourquoi laisser les seuls Barthes ou Foucault se préoccuper de littérature érotique ? Desnos est presque toujours péremptoire, parfois injuste – voir le passage sur Rabelais au chapitre III, qui m’a beaucoup fait rire parce que j’aime beaucoup Rabelais –, mais souvent avisé : je n’ai lu nulle part ailleurs en aussi peu de mots d’analyses aussi pertinentes que celles qu’il fait de l’œuvre de Restif de La Bretonne – le propos est encore plus juste que sur Sade – ou de l’incapacité des « poètes échevelés de 1830 » (p. 99), à écrire quoi que ce soit de valable en littérature érotique.
Et puis De l’érotisme rappelle que l’image d’un écrivain est multiple : le surréaliste des débuts, le résistant amoureux, le poète martyr de Theresienstadt fut aussi un connaisseur intelligent de la littérature érotique.

Alcofribas
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le 8 oct. 2016

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