« De la boxe » est un essai de Joyce Carol Oates sur ce sport si brutal et si masculin qu’enfant elle aimait suivre avec son père. La plus part des lecteurs connaissent l’auteure pour son roman sur Marylin Monroe, « Blonde », et parce que son nom est régulièrement cité pour le Nobel de Littérature. Publié aux Etats-Unis en 1987, cet essai tente de cerner l’étrange engouement que suscite la boxe, entre fanatisme et controverses. Décrié, dénigré, surmédiatisé, un combat de boxe, même visionné à la télévision, ne laisse pas indifférent. Est-ce parce que l’on sait tous au fond de nous que ce n’est pas parce que l’on détourne les yeux que la violence disparaît de ce monde ? interroge Joyce Carol Oates. Car c’est avant tout bien de violence qu’il s’agit. Qu’elle soit ritualisée, encadrée, elle est toujours risque de mort. L’auteure rappelle d’ailleurs quelques combats marquants pour leurs fins tragiques, celui de Lupe Pintor/Johnny Owen en 1982, et celui de Ray Mancini/Duk Koom Kim la même année par exemple. Un boxeur doit-il avoir envie de tuer pour gagner ? Joyce Carol Oates a rencontré dans les années 80 celui qui n’était encore alors qu’un jeune champion plein d’avenir, Mike Tyson. Il lui a expliqué vouloir enfoncer le nez de son adversaire dans son cerveau lorsqu’il combattait… Aimer la boxe, est-ce encourager un spot de gladiateur ? Cette passion vient-elle chercher une pulsion de voyeurisme, qui viendrait exciter notre propre agressivité, bridée par la société ? En ce sens, analyse l’auteure, la boxe pourrait presque être comparée à la pornographie, qui a suivi un développement tout aussi impressionnant en Amérique. Elle écrit : « le spectacle d’êtres humains luttant l’un contre l’autre, qu’elle qu’en soit la raison, y compris à certains moments bien médiatisés, pour des sommes d’argents stupéfiantes, est excessivement perturbant, car il viole l’un des tabous de notre civilisation. De nombreux hommes et femmes, même s’ils se sont blindés contre ça, ne peuvent regarder une rencontre de boxe parce qu’ils ne peuvent s’autoriser à voir ce qu’ils sont en train de regarder (…) A cet égard, la boxe comme spectacle public est proche de la pornographie : dans les deux cas, il est fait du spectateur un voyeur distancié, mais surement impliqué intimement dans un événement qui n’est pas censé se dérouler comme il se déroule ». A ceci prêt bien sûr que la boxe n’a (a priori) rien de la mise en scène et du trucage. Elle est l’instantanéité même. On serait alors tenté de penser la boxe comme la catharsis de la violence, la ritualisation qui permettrait, à l’image des sacrifices antiques sur l’autel, de domestiquer l’agressivité de la foule en la concentrant sur une victime émissaire. Pour Joyce Carol Oates, cette comparaison n’est pas non plus valide dans sa globalité. Des études de sociologie pencheraient même à faire penser que les jours qui suivent de grands combats de boxe très médiatisés le nombre d’agression aurait tendance à augmenter de 10% aux USA! Mais ne nous y trompons pas, la boxe n’est pas pour autant le sport le plus dangereux. Elle arrive largement derrière des sports comme l’alpinisme, l’équitation, les courses automobiles et le football américain. Mais elle choque d’avantage en ce que la violence qu’elle déchaîne n’est pas canalisée par la poursuite d’un ballon ou d’un palet ! Non l’enjeu est clairement de faire du mal à l’autre. Le vrai combat est d’ailleurs celui qui s’achève par un KO, un non un KO technique, lorsque l’arbitre est obligé d’arrêter le match. De même si le KO arrive trop tôt le match sera considéré comme frustrant. La pratique des paris est également particulière à ce sport dont elle fait partie intégrante de l’histoire (avec celle des courses de chevaux également). De fait, c’est un milieu par lequel transite énormément d’argent, et grâce au quel beaucoup d’hommes issus des classes populaires ont pu prospérer. A un schisme déjà présent entre boxeurs populaires et boxeurs plus aisés, s’ajoute celui très longtemps difficile entre boxeurs blancs et boxeurs noirs. L’histoire de Mohamed Ali / Cassius Clay est assez emblématique du parcours du combattant du sportif noir aux Etats-Unis dans les années 70. Au-delà de ses exploits sur le ring, il incarne le combat contre la discrimination aux USA. Son titre de champion du monde de boxe, maintes fois reconquis, en fait une figure majeure du sport et de l’endurance. Mais il fut tout autant médiatisé pour son implication dans la religion islamique, son changement de patronyme (que de nombreux journaux sportifs ne respectèrent pas toujours, alors qu’il était d’usage que les boxeurs aient un autre nom de boxeur), mais aussi et surtout pour son refus d’être mobilisé pendant la guerre du Vietnam, annoncé par une phrase choc qui allait marquer son époque : « moi, je n’ai aucun problème avec le Viet-cong », et la sanction exemplaire qui allait en suivre (10 000 dollars d’amende, 5 ans de prison – qu’il ne fera pas – et la suspension pendant 7 ans de sa licence de boxe, qui, s’ajoutant à la suspension de son passeport lui interdisait de boxer dans d’autres pays). Mais il fut aussi remarqué pour son retour sur le ring, à 35 ans passés. Des victoires, des combats historiques, mais aussi des échecs cuisants, des coups, beaucoup, et une santé qui se dégradait plus vite que les années ne passaient. Il est difficile pour un sportif de savoir prendre sa retraite au bon moment et de partir sur un succès (à l’exception du boxeur Rocky Marciano qui ne connût aucun échec avant sa retraite). Joyce Carol Oates fait un tour d’horizon passionnant de ce sport extrême, pratique du dépassement, qui sut si bien cheviller à l’histoire d’une société. Au-delà de la violence, c’est l’histoire de la mise en scène de la violence, de sa cristallisation sur le ring qui ne manquera pas de nous intéresser.
Emma Breton
Pour aller plus loin sur le sujet : notre critique de « Raging Bull » de Jake LaMotta