Kenize Mourad raconte l'histoire de sa mère la princesse déchue Selma, fille de Hatice Sultane et de Rauf Hayri Bey et petite-fille du sultan éphémère Murad V.
Après la victoire d'Atatürk et l'indépendance de la Turquie des puissances étrangères Alliées venues l'occuper, la famille sultane ottomane est mise dehors. Hatice choisit le Liban où elle s'exile avec sa fille Selma et quelques membres de sa cour. Ils vont vivre à Beyrouth dans une relative pauvreté jusqu'à ce que Hatice trouve en un Raja indien immensément riche un mari pour sa fille Selma qui part en Inde pour Lucknow, dans l'Uttar Pradesh. Cependant, ce n'était pas exactement ce à quoi Selma s'attendait. Si elle reprend le statut de princesse et vit dans un luxe immense, elle vit aussi dans une cage dorée. Elle profite d'être enceinte pour aller accoucher de sa fille (Kenize) à Paris. Manque de bol, son bonheur à Paris dans les bras d'un médecin états-unien sera de courte durée. Le médecin l'abandonne pour partir au Mexique et les allemands nazis font leur entrée dans Paris que le gouvernement leur a abandonné. Malgré les efforts de l'eunuque Zeynel pour s'occuper d'elle et de sa fille, Selma devient de plus en plus pauvre, et si elle échappe aux nazis va perdre la vie à l'âge de 26 ans -dans la réalité - (30 dans le livre) seulement. Le brave Zeynel confiera la petite Kenize âgée de 2 ans à l'ambassade de Suisse avant de disparaître à son tour.
Kenize Mourad a été élevée dans un milieu catholique, puis est devenue journaliste. Donc contrairement à ses parents elle a bien travaillé dans sa vie. En 1987 elle a presque 50 ans et publie son premier roman, celui-ci. Qu'en dire ?
Il fournit un témoignage intéressant de la famille ottomane déchue vu de l'intérieur dans une certaine mesure, rappelant ainsi l'histoire légendaire d'Anastasia. Cependant, si Kenize écrit sur sa mère, ses amours, des malheurs, ne l'ayant presque pas connue, le témoignage est loin d'être direct. Elle tente de recréer sa mère, exercice intéressant s'il en est, cependant, malgré la beauté du geste, il est loin d'être réussi. Le personnage de la princesse Selma, s'il est irritant pendant une bonne partie du livre (comment peut-on être aussi naïf ?) est souvent peu cohérent quand à sa psychologie qui évolue en fonction des circonstances.
Princesse rebelle et idéaliste, on verra qu'elle deviendra une femme soumise jusqu'à se laisser mourir. La description des passages sexuels ne manque pas de piment (indien) quand on pense que Kenize imagine sa mère batifoler avec son père ou un amant.
On a le droit cependant à un voyage historique à travers la fin de l'Empire ottoman et l'avènement de la République de Turquie dans la première partie, puis le Liban sous mandat français (2ème partie), l'Inde sous mandat britannique avant l'indépendance, et enfin Paris années folles puis sous l'occupation nazie avec tickets de rationnements dans une pension miteuse. Le style oscille entre langage aristocratique parfois crispant et simplicité naïve type Elif Shafak. À lire donc plutôt comme un témoignage historique que pour le style.