"La science est une manière de faire un monde, parmi d’autres possibles"

Voici un livre écrit par un scientifique qui est une véritable bouffée d’air frais. Aurélien Barrau est astrophysicien, philosophe et sensible à l’art, c’est ce qui fait toute la richesse de sa pensée. Il livre ici une réflexion sur le rapport entre science et vérité. Si certains passages sont obscurs pour des non scientifiques, ce qui est mon cas, l’ensemble reste très accessible et stimulant.

Dans cet ouvrage, Aurélien Barrau défend l’importance de la modestie et de l’humilité face à la vérité. La science est une approche parmi d’autres du réel elle ne « touche pas ou ne révèle pas le réel en lui-même ». Si elle donne un accès précis au « réel scientifique », celui-ci n’embrasse pas pour autant la totalité des modes d’être. Chaque domaine a un accès différent au réel dans son propre champs.

Par ailleurs, la science ne peut prétendre à LA vérité. Chaque vérité dépend d’un système de pensée partiellement construit, elle est celle d’une culture, d’une époque, de croyances, d’un rapport particulier au réel. Ainsi, nous regardons les récits des anciens comme des mythes. Qui nous dit que dans le futur, notre récit sur le Big Bang ne sera pas lui aussi regardé comme un mythe ? Les certitudes et la science ne font pas bon ménage !

La conscience de la fragilité des constructions est consubstantielle à la démarche scientifique. Nous savons que tout peut s’effondrer et nous n’en avons pas peur. En cosmologie, par exemple, où en est-on ? D’un certain point de vue, notre modèle standard fonctionne à merveille. L’histoire de l’Univers entre un milliardième de milliardième de milliardième de seconde après le Big Bang et aujourd’hui est bien comprise et bien expliquée par nos théories. L’ensemble fait sens. Et pourtant, plusieurs difficultés voient le jour ici et là. D’abord, il y a l’étrange « matière noire » qui se manifeste par ses effets gravitationnels mais dont la nature demeure inconnue (…). Ensuite, on peut penser à la non moins curieuse (…) « énergie noire », nom pudique donné au moteur de l’accélération de l’expansion de l’Univers. (…) il est important de garder à l’esprit que le Big Bang lui-même, en tant qu’instant originel, n’est pas correctement défini. Il est une prédiction inévitable de la théorie là où elle cesse précisément d’être valide. Viendra-t-on à bout de ces difficultés par petites corrections locales ou par changement global de paradigme ? Nul aujourd’hui ne le sait.

Si Aurélien Barrau invite au relativisme, il prend soin de noter qu’il ne s’agit pas de dire : « tout se vaut ». tous les systèmes de pensée ne se valent pas. Toutes les théories scientifiques ne se valent pas. Le relativisme ne nie pas l’importance de la vérité, mais il interroge la légitimité des systèmes. Toute époque, toute culture s’est crue détentrice d’une vérité irrévocable qui a par la suite fait place à d’autres vérités. Le relativisme n’a pas davantage à voir avec le laxisme, le laisser penser et le laisser faire. Prendre conscience que nos valeurs, nos systèmes sont construits, conduit à donner place au doute à ne pas les regarder comme des vérités immuables et absolues. On peut alors les défendre et s’engager avec humilité.

Je n’ai fait ici qu’effleurer, certainement maladroitement, quelques points de cet ouvrage court mais dense. Les esprits fermés et dogmatiques me pèsent quel que soit le domaine : politique, religieux, philosophique, athée, scientifique ou culturel. J’éprouve au contraire beaucoup de plaisir à rencontrer des esprits ouverts qui font place à la diversité des approches, des perceptions et qui savent ne pouvoir prétendre à aucune vérité, sans pour autant ne croire en rien et se désintéresser des grandes questions de la vie. Aurélien Barrau fait partie de ces esprits ouverts, intelligents, curieux, humble, c’est pourquoi j’aime à le suivre dans ses ouvrages et ses conférences. Pour ceux qui seraient intéressés, je signale ses cours en ligne « tout public » sur l’univers absolument passionnants. Ils constituent une introduction élémentaire à la cosmologie.

La science est indéfinissable. La vérité est inaccessible. Mais elles partagent, au moins, cette capacité à générer cet état d’être si essentiel et élégant que le poète Fernando Pessoa nomme l’« intranquilité ».