Nouveauté de 2021, "Dear Evan Hansen" est un roman élaboré à partir d'une comédie musicale états-unienne du même nom, qui a gagné plusieurs prix.
J'aimerais vous donner un avis plus tranché sur ce roman, mais en réalité, je nage entre deux états. D'où ce 5/10.
D'abord, il faut comprendre qu'étant à l'origine une œuvre conçue pour le théâtre et le chant, nous tombons sur un second médium avec cette histoire devenue un roman. Cela explique peut-être pourquoi les critiques sur ce roman sont souvent peu élogieuses, accusant l'oeuvre de manquer de profondeur, de mettre certains personnages sur la touche et de mal travailler certains thèmes. Personnellement, n'ayant pas vue ladite pièce, je ne saurais dire, mais basé sur mon expérience, changer le médium de base d'une œuvre est un risque. À titre d'exemple, citons la panoplie de romans jeunesse des dernières années convertis en série ou en film et dont le résultat est mitigé ou carrément désastreux.
Ensuite, l'histoire en elle-même a du quoi faire sourciller. Les histoires sur le mensonge sont des couteaux à deux tranchants: on peut faire une histoire avec pour but de parler des conséquences néfastes du mensonge, parce que pour être honnête, je ne vois pas vraiment de cas de figure où ce peut être porteur de conséquences bénéfiques. Mais ici, et c'est là le problème, il ne s'agit pas d'un mensonge basé sur une mésinterprétation ou une omission ou un délire collectif, mais bien d'un mensonge assez poussé qui a nécessité une structure et de l'entretient. Evan n'a pas recherché à amenuiser le mensonge qui fait de lui le "meilleur ami de Connor", au contraire il a même contribuer à le grossir en fabriquant de faux e-mails, en racontant des anecdotes tout aussi fausses, créant même un projet en sa mémoire. C'est un ÉNORME mensonge. Et le pire est qu'au final, ça ne porte pas à conséquence pour celui qui nage dedans. À l'époque des catfish, des faux profils, des TL Réalité , tous des exemples concrets de mensonges construits, je ne pense pas que de valoriser ce genre d'action soit, à terme, une bonne initiative. On a l'impression que Evan profite de cette situation et comme elle est faite sur le dos d'un défunt, je vis un certain malaise après ma lecture.
En fait, c'est la manière que se construit l'histoire qui donne à penser que Evan se découvre une vie grâce au décès d'un autre. La mère de Evan est d'ailleurs beaucoup plus lucide que les autres personnages quand elle dit avoir l'impression que les Murphy, famille de Connor, l'on pratiquement remplacé lui à la place de leur fils. J'ai eu la même impression.
Evan en lui-même est un personnage difficile à suivre. Oui, on le décrit anxieux, mais pour avoir lu d'autres critiques qui allait en ce sens: comment expliquer qu'un anxieux social incapable de prendre la parole soit si étonnamment fluide quand il ment? À croire que c'est la vérité qui est difficile à verbaliser pour Evan. Oui, il prend des médicaments, mais je n'ai pas vu la moindre trace de psychothérapie réelle. Ni de techniques de gestion des émotions ou du comportement ( Cognitivo-comportemental). En bref: pas la moindre trace de psychologie. Pour une œuvre qui veut traiter de ce sujet en particulier, offrir une plus grande place aux "moyens" de gérer son anxiété aurait été, à mon sens, un élément à ne pas contourner. D'autant plus que pour les psychologues, les médicaments ne sont pas la solution, mais une sorte de garde-fou.
Connor, le jeune homme qui s'est suicidé, fait quelques apparitions, ce qui est bien parce que nous en apprenons sur sa vie. Pourtant, il livre très peu de ses réelles motivations d'en finir. J'ai beau y réfléchir, je ne parvient pas à dire "pourquoi" il a décidé d'en finir ce jour là. Raz-le-bol absolu, dépression ayant atteint son apogée, écoeurantite aiguë, choc de trop, je ne sais pas vraiment.
Il avait un mal de vivre et vivait de la solitude, ça au moins c,est clair, mais le tout manque de finesse et d'aboutissement. On voit mal son aspect "dépressif", on comprend mal pourquoi du début de sa vie à la fin il a passé pour un incompris et un enfant difficile. Sa psychologie est un vrai mystère et un sacré casse-tête.
Alana et Zoé, les deux filles principales, occupent très peu de place et elles-aussi manquent de finesse psychologique. Zoé est finalement tombée amoureuse d'Evan, on ne sait pas trop pourquoi, mais j'avais l'impression que c'était surtout parce qu'il était dans le décor. Alana prend très...trop...pas mal à coeur toute cette histoire de projet, met le doigt sur un élément super louche ( les e-mails fabriqués et leurs incohérences) et ne s'en préoccupe pas plus au final - c'est commode pour Evan. Des personnages secondaires qui se comportent en personnes tertiaires, je trouve.
Plus j'en écris sur ce roman, plus je constate que mon enthousiasme du départ vient de prendre un sacré coup. Je l'avais même présenté à des bibliothécaires aujourd'hui et ce furent elles qui m'apprirent les différentes critiques négatives sur ce roman. Finalement, avec du recul, je constate qu'il y a beaucoup de vrai. Cependant, tout n'est pas à jeter.
On voulait parler de la solitude chez les jeunes, c'est le cas. On voulait parler d'anxiété, partiellement vrai, mais c,est aussi là. On a voulu parler de mensonge, oh là, on est en Cadillac, les amis! On a couvert plusieurs aspects de la vie adolescente également, même si c'est resté en surface.
Parmi les éléments positifs je retiens: une maman, celle d'Evan, qui fait son gros possible pour élever son garçon toute seule et qui a tout-de-même plus de jugeote que les autres adultes dans le roman. Elle aime sincèrement son fils et ça c'est sans aucun doute un bien très précieux pour un enfant que d'être aimé inconditionnellement. Je retiens que nous avons un rôle collectif à jouer pour soutenir les plus vulnérables d'entre nous. Je retiens aussi que les réseau sociaux sont à double sens: ils permettent de contrer partiellement la solitude, mais c'est aussi un terrain propice à chercher de l'attention. Je pense notamment à cette fille au début, qui ne connaissait même pas Connor et qui disait être "super triste"suite à son suicide. La fausse sympathie, c'est une recherche d'attention. J'en retiens globalement qu'on fait des erreurs et qu'il n'y a pas de miracles: il faut apprendre à se parler et à être son propre allié.
Sinon, côté écriture, ça se lit tout seul. Les pages avec les commentaires dispersés sur trois pages est intéressante.
Pour conclure, je dirais qu'on a voulu bien faire, mais qu'on a peut-être mal fait, au final. Partant de bonnes intentions, on s'est peut-être emmêler les pinceaux et mit de l'accent sur des broutilles au détriment des trucs vraiment importants. Je ne peux pas dire que les personnages sont attachants - surtout Jared, drôle d'oiseau pas sympathique celui-là!. Même Evan, qui a une étrange façon d'être extrêmement autocritique ( voir même sadique envers lui-même) tout en servant des mensonges élaborés, je ne vois pas de qualités à aimer en lui. Bref, un drôle de roman qui, je le constate, a reçu un accueil qui ne fait pas consensus. Je ne regrette pas de l'avoir lu, mais je suis déçu qu'au final, il ne reste pas grand chose pour le défendre.
Le genre de roman qui serait intéressant à mettre au centre d'un débat.