Peut-être qu’une phrase telle que « Congolais, Ivoiriens, Maliens, Guinéens, Béninois, Sénégalais, etc., l’œil exercé identifie facilement les nationalités par le seul style vestimentaire. » (p. 12 de l’édition de poche), passerait moins bien si l’auteur n’était pas noir. Au demeurant, il l’est, ne considère cela ni comme une qualité ni comme un défaut, et c’est cool.
À part ça, Debout-payé fait cohabiter deux textes. D’une part, un ensemble de ce qu’on pourrait appeler des exercices d’observation sur le métier de vigile au début du XXIe siècle ; le propos est avant tout social, le style faussement impersonnel, la réflexion généralement assez pince-sans-rire. D’autre part, le récit de l’immigration d’Ossiri, étudiant ivoirien dans le cadre très marqué des années 1970 ; le propos est avant tout social, le style faussement impersonnel, la réflexion généralement assez pince-sans-rire.. Autrement dit, la cohérence et l’unité de Debout-payé n’auraient pas été menacées même si ces deux textes avaient été présentés à la suite l’un de l’autre plutôt que sous forme de mille-feuilles. « Ce n’est même pas du racisme, ce n’est pas une question de couleur de peau. C’est juste une question de blé, mon pote. » (p. 184) est une remarque qui pourrait figurer dans chacune des deux parties.
Je parle ci-dessus du métier de vigile. En vérité, le narrateur nous le présente comme autre chose qu’un métier – appelons cela une condition. Cette condition implique un statut d’observateur privilégié de cette société de consommation dont les Champs-Élysées sont à la fois le fruit et le théâtre. À la clé, des réflexions comme celle-ci : « Ennui, sentiment d’inutilité et de gâchis, impossible créativité, agressivité surjouée, manque d’imagination, infantilisation, etc., sont les corollaires du métier de vigile. Or militaire est une forme très exagérée de vigile. » (p. 144).
Peut-être faut-il encore lier à cette condition l’humour quelquefois assez spécial du roman ; j’aime assez « À la course à la présidentielle [1974] se présentèrent dix hommes chauves, un homme borgne et une femme qui n’aurait pas été plus laide si elle avait été chauve et borgne. » (p. 70-71).
Si Debout-payé se lit sans déplaisir, que lui manque-t-il alors pour être marquant ? Peut-être un peu plus de punch, des « moments creux » qui proposent un travail sur la langue, un peu plus de place laissée au lecteur. Un passage comme « Sept secondes, composition du code comprise, c’est le temps qu’il faut à un guichet automatique de la HSBC des Champs-Élysées pour cracher 20 euros. Au Crédit Lyonnais de la rue Louis-Bonnet à Belleville, la même opération prend 43 secondes ! » (p. 138), par exemple, est plutôt percutant. Pourquoi alors l’avoir alourdi d’une suite (« Aux Champs-Élysées, l’argent est vite donné mais aussi vite dépensé… Dans les quartiers pauvres, même les distributeurs automatiques hésitent à vous refiler de l’argent. ») qui n’apporte rien que le lecteur n’ait pas déjà compris ?