Que serais-je sans toi, épisode 8/12
[Avertissement : cette critique est le huitième épisode d’une étude sur Que serai-je sans toi ? de Guillaume Musso. Pour plus de clarté sur le projet :
http://www.senscritique.com/liste/Musso_parce_qu_il_le_vaut_bien/500931
Que serais-je sans toi, épisode 8/12
II. Le Style.
C. M. Musso est un entertainer
Hors de question de susciter l’ennui. Les longueurs sont à bannir. Il faut être e-ffi-cace. Quelques recettes bien éprouvées :
L’italique : l’immersion dans l’esprit du personnage qui évite le « songea-t-il » [SC n’ayant toujours pas l’italique, je mets les passages en question entre crochet dans les citations]
« Depuis quand d’ailleurs ne s’était-il pas senti en accord avec lui-même ?
[Depuis elle…]
Il soupira de consternation (1) et fit quelques pas vers le « lac ». » (p. 165)
(1) Le lecteur vit alors un moment de profonde empathie pour le personnage.
Les phrases nominales à valeur de didascalies qui évitent d’avoir à chercher des verbes :
« Le milieu de la nuit dans une cité HLM de l’Essonne.
Un petit appartement, toutes lumières éteintes.
Sur la sonnette, un nom aux consonances slaves. » (pp. 132-133)
Le dialogue par SMS, voire le dialogue de théâtre avec les noms des personnages devant chaque réplique, Cf. pp. 109-113. L’extrême densité des répliques se suffit en effet à elle-même.
Martin (repoussant le chèque (1)) : Vous jouez à quoi, au juste ?
Mademoiselle Ho : Considérez cela comme une avance.
(1) Ah oui, le chèque, annoncé à grand renfort de trompettes et cymbales une ligne plus haut : « Le jeune flic la décacheta : l’intérieur se résumait [oh mince, se dit le lecteur, il n’y a donc pas grand-chose dans l’enveloppe] à un chèque [ah, chouette, de l’argent] à son nom provenant de la compagnie d’assurances Lloyd’s Brothers. Son montant était de 250000 euros. [ah oui, quand même.]
Dix ans de salaire d’un flic. [ah oui, quand même.] »
D. M. Musso aime faire du chiffre
Qu’on se le dise, la rédaction d’un roman est un investissement. A l’instar des smartphones et de leur renouvellement régulier, M. Musso sort une nouvelle version de son roman tous les ans. Mais c’est un entrepreneur honnête qui sait que le lecteur en veut pour son argent. Loin d’Amélie Nothomb proposant des romans de 80 pages en police pour malvoyants, M. Musso livre des romans tout à fait crédibles. Celui qui nous occupe, et dont nous avons oublié le titre, parce qu’il n’a finalement que très peu de rapport avec l’intrigue et pourrait très bien s’appliquer au cru 2008 ou 2010 de son auteur, fait donc 300 pages. Tout rond.
C’est vendeur, 300 pages, ça a son épaisseur dans le sac de plage, et on apprécie la couverture gaufrée avec le nom de l’auteur en relief. Et quand on le pose sur l’étagère à côté des versions des années précédentes, dans la bibliothèque du salon, ça a son petit effet.
Un doute étreint toutefois le lecteur consciencieux lorsqu’il referme l’ouvrage, au bout de quelques heures de lecture. Une intrigue qui tiendrait sur l’écran d’un Ipod Nano, presque aucune description, une économie savante des verbes… mais comment fait-il ?
Plusieurs procédés permettent à M. Musso d’atteindre les objectifs de fabrication de son produit.
- L’anaphore Simplement te dire 8 fois dans la lettre d’amour inaugurale
- Les répétitions lors des « résumés des épisodes précédents » (voir plus haut)
- L’importance fondamentale des points de suspension.
Comme son nom l’indique, ce signe de ponctuation est en lien étroit avec la notion même de suspense, qui est un des critères de tout bon roman populaire. Les points de suspension permettent un accroissement phénoménal du suspense, à l’image de ce que les américains, maitres en la matière de M. Musso, nomment le cliffhanger : avant la pause publicité, notre vaillant héros se retrouve suspendu à la falaise sans possibilité – apparente – d’en réchapper.
« Excédé, Martin se leva de table et… »
Le récit change alors de section, matérialisée par de petites étoiles qui jalonnent le récit et occasionnent à chaque fois un saut de ligne, avant et après, soit trois lignes de vide dans la page. On retrouve cette étoile souvent une fois par page, voire deux.
« Il n’y avait eu que des souffrances, du noir, de la peur, et… »(p. 233)
Nous sommes ici à la fin d’un chapitre. Le lecteur devra tourner deux pages blanches avant la partie suivante.
D’une façon générale, on l’aura deviné, M. Musso veut faire de son livre ce que la division marketing d’XO Editions (dont le slogan Lire…pour le plaisir est souvent diffusé sur RTL ou Europe 1 entre une publicité pour Carglass et une autre pour la promo sur le kilo de moules chez Auchan) appelle le page turner, nouvelle appellation du best-seller qui édulcore la dimension commerciale parce qu’il s’agit d’être poli lorsqu’on parle d’un produit culturel.
Les constants retours à la ligne permettent, outre l’efficacité de la punchline, une aération considérable de la page, ce qui n’est pas sans séduire le lecteur. Les pages blanches sont nombreuses et les parties s’enchainent à un rythme effréné. Nous ne possédons pas une version numérique du roman, mais il serait très instructif d’en connaître le nombre de signes et de le comparer à un roman plus classique annonçant un nombre identique de pages.
M. Musso atteint ainsi ce que les commerciaux à cravate célio appellent le win/win, comprenez le partenariat gagnant/gagnant : l’auteur en écrit le moins possible mais annonce un roman de 300 pages, ample justification de son prix. Le lecteur (peu habitué à Proust ou Montaigne, il faut l’admettre) avance vite et bien, fier de sa progression dans le récit. Pour finir, le livre ira grossir les rayonnages de son étagère Ikea, qu’il fallait bien remplir.
Episode suivant : M. Musso est un adepte de la dichotomie hugolienne :
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L'intégralité de l'étude :
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