Incontournable Octobre 2022
"Déméter, l'indomptable" est le 4e roman à saveur documentaire de la série sur la mythologie grecque "Héroïnes de la mythologie" d'Isabelle Pandazopoulos. Beaucoup plus respectueuse de la mythologie grecque que le sont les Percy Jackson, ces romans offrent aussi un portrait plus inclusif des mythes de la Grèce antique, en donnant la tribune aux déesses exceptionnelles telle que Déméter et Athéna, mais également aux mortelles remarquables, telles que Pénélope et Ariane.
Déméter, dans sa jeunesse, était une déesse atypique. Blonde, au corps tout en courbes et d'une désarmante humilité, elle détonnait à la table des Dieux de l'Olympe. Trouvant leur tablée ennuyeuse, toujours à donner la place aux dieux masculins aussi puissants que tapageurs et arrogants, Déméter aimerait fuir cette famille pour vivre là où elle se sent le plus à sa place: sur Terre. Raffolant des êtres vivants, de la flore comme de la faune, cherchant à donner aux mortels des terres fertiles et des plantes en abondance, Déméter est donc folle de joie d'apprendre par sa grand-mère, la première entité de ce monde, la puissante Gaïa, qu'elle est destinée à devenir la déesse de la Nature. Gaïa lui raconte également les origines du mondes, de son conflit avec son pendant masculin, Ouranos, entité des cieux, puis de leur fils Cronos, Dieu avide de pouvoir qui a dévoré ses propres enfants, avant que ses derniers ne soient sauvés par le petit dernier , Zeus. Ce dernier a d'ailleurs des travers qui rappellent dangereusement ses père et grand-père. Dieu infidèle et orgueilleux, il prend très mal le rejet de Déméter à l'épouser et ainsi devenir la Reine de l'Olympe à ses côtés. Leur amour tourne à l'orage, malgré l'arrivé de la petite Coré. Zeus promet une vengeance pour l'affront de Déméter. Alors que la déesse croit en puissance et préfère toujours sa bien aimée île de Sicile et sa fille à la compagnie des dieux, toujours plus magouilleurs et snobs que jamais, l'histoire tourne au drame. Coré disparait. Déméter, alors terriblement angoissée et chagrinée, apprend par son ami Hélios, le Dieu du Soleil qui lui sert de transport entre le monde mortel et le Mont Olympe, que c'est Hadès, Dieu des enfers, qui a enlevé Coré. Avec le consentement de Zeus. Déméter entre alors dans une colère froide d'une ampleur cataclysmique. Au débuts, les Dieux semblent croire que sa folie est passagère, qu'elle sera obligée de se conformer aux lois divines et cesser ses caprices. C'était mal connaître la terrible déesse de la Nature, dont le rôle sous-estimé est alors mit au grand jour. Sans Déméter, la nature se meurt. Les catastrophes s'enchainent, les mortels meurent de faim. Zeus, dépassé, doit se résoudre à aller négocier le retours temporaire de Coré dans le monde lumineux. Mais s'il croit avoir regagné son contrôle sur la déesse aux cheveux blonds, il se trompe...lourdement.
Attention- Divulgâche
Déméter retrouve Coré. Leur réunion est émouvante, mais quelque chose a changé chez les jeune déesse. Coré raconte alors son séjour aux enfers, ce lieu où les mortels sont jugés par Hadès, puis conduit aux champs Élysés pour les âmes vertueuses ou dans le tartare, pour les âmes viles. D'abord déchirée par sa rupture avec le monde et sa mère adorée, Coré finit peu à peu par développer une curiosité pour ce monde sans lumière, ennuis oblige. Coré finit même par explorer le tartare avec Hadès et de cet épisode nait un début de relation, où les débats quand aux jugements sont matière à discutions. Coré se découvre une vocation: celle du jugement. Avec son sens de la justice et sa capacité à ne pas flancher devant la manipulation émotive ou l'hypocrisie ( Hormis le cas exceptionnel d'Orphée), Coré serait, aux dires d'Hadès, "une Reine des enfers formidable". Elle sait même faire rire le lugubre Roi des enfers. Mais faire le choix entre sa vie avec sa mère, entourée de cette nature qu'elle affectionne tout autant, et cette profession ténébreuse est pénible pour Coré. Elle fait le choix de manger le grain de pomme-grenade qui fera d'elle la Reine des enfers. Déméter est bien sur peinée par ce choix, qu'elle comprend, néanmoins. Elle a alors une idée. Elle se rend au Mont Olympe avec Coré, devenue "Pérséphone", et propose un arrangement - après avoir balayé celui imposé par Zeus. Déméter propose un partage équitable, six mois aux enfers et six mois en terres mortelles. C'est ainsi que les saisons naquirent. Un hiver quand Perséphone est sous terre et un été quand elle est de retours, des saisons intermédiaires entre elles. Déméter demeurera une déesse de première importance, généreuse et humble, que certains abrutis oseront défier. Malheureusement, c'est à la bêtise des Hommes que sera confronté aussi la déesse à l'avenir. Elle rappelle à qui veut bien l’entendre: "La Nature est un temple sacré. N’oublie jamais de la respecter [ ...] sinon, mortel, tu risques le pire, toi et ceux qui vendront après toi".
Il y a beaucoup d'éléments que je trouve positifs dans ce roman. Déjà, il est relativement court, sait rester concis sans oblitérer d'importants détails. Ici, nous avons un roman "réaliste" de la mythologie grecque, pas une "inspiration" de mythologie grecque. Ici, les Dieux de l'olympe sont impitoyables, se font des coups bas, sont assez typiquement de mauvais tempéraments, certains sont ouvertement infidèles ( Surtout Zeus) et se font des enfants entre fratrie. J'ai vraiment l'impression de lire ce que j'ai appris dans mes cours d'histoire, mais avec un style lyrique plus agréable que le manuel de classe. Mais ce qui me plait particulièrement est cette tribune aux personnages féminins, plus ou moins laissé de côté dans les manuels, justement.
Et quel héroïne! Déméter est la déesse de la nature, des moissons et donc des saisons. Mais apprendre qu'elle a tenu tête à ce gros macho de Zeus et sa tribu de divinités (qui me rappellent ces personnages un peu débiles des séries savons américaines, qui ont tellement de temps à tuer qu'ils se font des coups bas entre eux et couchent avec tout le monde) ça c'est intéressant! Déméter était une petite déesse différente et d'une touchante humilité au début, mais elle devient une déesse aussi puissante ( sinon plus) que Zeus lui-même. Mère aimante, elle s'est servie de sa colère d'une manière singulière pour faire savoir aux Dieux l'ampleur de leur cruauté à son endroit, en permettant à Hadès de capturer sa précieuse fille. Il y aura eu des dégâts, mais aucune guerre. Elle a simplement cesser ses soins à la terre et fait prendre conscience de son rôle crucial dans l'équilibre du monde. Elle n'aura plié devant personne et aura même trouvé un compromis devant l'impasse de Coré face à son avenir, ce qui traduit, par le fait même , d'une grande empathie. Surtout, si elle est capable d'être implacable, elle l'est surtout envers les Dieux, car face aux hommes, elle est généreuse de son temps et de ses soins. Une déesse dont la blonde chevelure cache un caractère solide, des idéaux inébranlables et une affection pour la vie infinie. Et c'est une des rares déesses à avoir eu de la gentillesse désintéressée pour des mortels. Quelle héroïne!
J'apprécie qu'on ait pas caché la face sombre des divinités grecque, car ils ne sont pas tendres, ni entre eux, ni envers les mortels. C'est un élément qui m'avait agacé avec les Percy Jackson, justement. Les divinités grecques sont beaucoup plus près des tares humaines qu'on le croit. Ils sont revanchards, arrogants, imbus d'eux même, jaloux, cruels et parfois même conspirationnistes. Et incestueux.
Ironiquement, c'est le Dieux Hadès qui m'a semblé le plus sympathique. C'est apparemment l'un des seuls dieux puissants à travailler constamment. Juge de l'humanité, il a fait la requête d'avoir de la compagnie, d'où l'arrivé de Coré. Face à son caractère, son esprit aiguisé et son sens du débat, Hadès ne put rapidement plus 'en passer et montre même de la vulnérabilité quand il apprend que Coré va revoir sa mère et donc quitter les enfers. Si Coré est bel et bien victime d'enlèvement, ce qui est condamnable, donnons au moins à Hadès qu'il est mieux que son frère Zeus quand à la notion de consentement. Il ne s'est pas "imposé", il a offert la couronne des enfers à Coré, ce qui est quand même une sacrée nuance par rapport à Zeus, qui viole tout ce qui bouge et impose sans compromis. Et contrairement à Poséidon, il n'est pas arrogant et insensible. Je me demande si cette interprétation du caractère d'Hadès est fidèle aux mythes?
Un dernier point à soulever concerne la relation en elle entre Hadès et Perséphone. Il n'y a rien de violent, au delà du fait d'avoir été offerte par Zeus à son frère. Mais surtout, leur relation est d'abord amicale, égalitaire, intellectuelle même. Il apparait qu'ils sont complices, capables d'être en désaccord tout autant que d'avoir des points en commun. L’apparence n'est même pas un critère. Hadès se comporte envers Perséphone avec respect, admiration et humilité. Des éléments qui font défaut à un nombre impressionnants de couples en littérature jeunesse, trop souvent superficiels, malsains et puérils. C,est donc étonnant de trouver un couple sain dans ces deux personnages dont on aurait pu croire le contraire, vu les circonstances de leur réunion. Mais dans cette version-ci, tout porte à croire qu'en réalité, Perséphone comme Hadès se complètent, se comprennent et évolue au mieux l'un avec l'autre, dans un respect mutuel et des projets en communs, sur un pied d'égalité. C'est à ça qu'on reconnait les amours sains.
Sur un autre ordre d'idée, dans certains textes, on attribut à Zeus le compromis offert à Déméter pour avoir sa fille un certain temps de l'année avec elle. J'aime mieux cette version où c'est Déméter elle même qui le propose, car cela casse le moule paternaliste que prennent trop souvent les interprétations de la mythologie grecque. L'idée également que Perséphone ait choisi de rester auprès d'Hadès pour avoir un rôle dans les enfers est intéressante. Il y a un plus grand pouvoir d'agir avec cette version et cela va dans le sens du mythe de Perséphone: Cette déesse est souvent représentée comme une figure importante de la fertilité, symbole du cycle des moissons, de la graine qui germe selon les saisons. On lui attribue aussi les champs Élysés, où elle a prit demeure. De plus, elle aura été décrite comme implacable parfois. L'imaginer prisonnière docile est donc difficile à imaginer, mais en Déesse à la fois capable de juger les morts et fertiliser les champs a quelque chose d'un peu plus vraisemblable, de par sa nature. Perséphone est donc la digne fille de sa mère.
Un élément que je note également ici est toute la portée du féminin naturel. Gaïa est à l'origine du monde et c'est elle qui a engendré le premier "homme", Ouranos. Dans la chrétienté, on a relégué la femme au rang inférieur en expliquant que son origine est celle des côtes d'Adam. Un choix illogique, à mon sens, mais utile pour rabaisser les femmes. Ici, c'est "Dame Nature" qui est à l'origine, comme le pensent d'ailleurs bon nombre de communauté autochtones d’Amérique du Nord. Le "pendant féminin" est associé à la fertilité, c'est donc plus crédible de penser que c'est le fécond qui engendre tout le reste. Ce qui est notable, dans le roman comme dans la mythologie, c'est le côté cupide et destructeur du pendant masculin, avec Ouranos d'abord, puis Cronos et enfin, Zeus et ses certains de ses fils, dont Arès, Dieu de la guerre. Un contraste avec Gaïa, Déméter et Coré, qui elles font tout pour que le monde croit.
Je note cependant qu'il y a avait une certaine poésie dans l'amitié de Déméter avec Hélios. Après tout, le soleil est l'un des principaux ingrédients pour faire croitre les plantes.Je remarque aussi l'intérêt et l'admiration de Déméter pour les déesses de la tactique guerrière, Athéna, et de la chasse, Artémis. Il y avait de très bonnes têtes féminines au panthéon des Dieux grecques et il est déconcertant de les avoir vu disparaitre des futures religions monothéistes, unilatéralement masculines. Aussi, j'ai trouvé que la passion de Perséphone pour la justice nous rappelle que certaines professions en apparence répugnante ( ici le rôle de gardien et de juge des enfers) doivent être tenus par quelqu'un. Il nous faut toute sorte de gens pour faire un monde, même ces métiers en apparence ingrats. C'est donc dire qu'il n'y a pas de métiers ingrats, finalement, mais une pluralité de domaines qui conviendront à une pluralité de gens.
Enfin, je remarque que dans l'épilogue, il y avait quatre entités associées à la mort en la personne de Pâleur, Froid inerte, Faim et Crainte. Un petit clin d’œil aux quatre chevaliers de l'apocalypse Mort, Famine, Pestilence et Guerre?
Le roman comporte quelques illustrations au crayon de plomb.
Pour conclure, je soulignerais que le roman n'est pas simplement une rectification historique intéressante et une mise en lumière sur de formidables héroïnes, mais également une occasion de faire passer un message pertinent sur l'importance de respecter la nature. C'est difficile de na pas faire de parallèle avec la façon honteuse de traiter notre planète. Par extension, Déméter représente cette nature généreuse qui nous offre tout, mais que nous instrumentalisons au noms de principes égoïstes dont le pouvoir, l'argent et la cupidité. Mais tôt ou tard, elle se retournera contre nous. Bref, c'était un roman très intéressant et passionnant sur une femme insoumise aux cheveux couleur blé.
Pour un lectorat à partir du troisième cycle primaire, 10-12 ans.
*Il n'y a aucune allusions sexuelle ou actes sexuels dans ce roman, mais on évoque l’infidélité de Zeus et ses nombreux enfants illégitimes.