Une semaine de "Dérives" avec Kate Zambreno, c'est comme tourner chaque fois autour de sa propre solitude et s'apercevoir qu'une amie est là, elle aussi, à dériver dans l'existence. A sa façon, Kate Zambreno est habitée par la même mélancolie que celle de Montaigne dans une autre vie : avec pour chacun d'eux cette écriture brève, spontanée et réflexive, toujours en mouvement, dans la conscience d'un devenir incessant.
"Dérives" est l'expérience d'un livre qui s'écrit sous nos yeux, au rythme du passage du temps et des changements qu'il induit. L'esprit change, le corps change, et dans cet impossible présent à habiter (l'impossible "espace pur" rêvé par l'artiste), le roman peine à s'écrire ou ne s'écrit que dans la traversée d'instants épars, contradictoires, liés de façon souterraine. Où la beauté et la plénitude, sans jamais prendre la forme d'un havre définitif, sont "l'attribut de nombreuses choses".
Paradoxalement, c'est dans cet impossible investissement du présent que l'écriture de Kate Zambreno nous est si fortement présente, intime, rivée à notre propre morcellement.
A lire si l'obsession de l'écriture et de la lecture - plus largement de la création -, est si forte que vous vous sentez en quête d'une impossible "tranquillité depuis laquelle travailler". Une obsession occupant finalement davantage votre temps que le travail lui-même.
A lire si vous aussi vous êtes fascinés par "l'insupportable beauté" de l'instant, toujours prêt à disparaître.
"Je voulais photographier les deux arbres mourants devant chez mon père, avec leurs branches rabougries, des champignons géants poussant sur l'un d'eux. [...] Si j'étais sortie pour prendre des photos, je sais que mon père n'aurait pas compris. Ça paraissait impossible de tenter de lui expliquer à quel point la décomposition de ces arbres datant de mon enfance me semblait d'une insupportable beauté. Et que pour moi l'art est une façon de réfléchir à la solitude, la mienne et celle d'autrui. Une façon de marquer le passage du temps".