L'oeuvre centrale de Girard qui fonde une théorie de la culture.
C'est dans les 120 premières pages de ce livre que toute la pensée de René Girard est contenue de façon dense, mais toutefois claire et structurée. Il s'agit de son anthropologie fondamentale, qui revient expliquer le mythe comme jamais avant lui, en se positionnant en critique du structuralisme tout en se plaçant dans une certaine continuité avec l'anthropologie classique.
Le reste du livre s'étend sur les conséquences de cette anthropologie développée en première partie, notamment au niveau de l'interprétation du texte chrétien, et au niveau de la psychologie interindividuelle. C'est ici que l'on trouve le fondement de la critique de Freud formulée par Girard.
Cet ouvrage est essentiel dans son contenu d'au moins deux points de vue. Tout d'abord il détaille ce qu'il faut entendre par "théorie mimétique", et les corrections apportées à ce livre depuis sa publication sont restées mineures. La pensée est déjà là dans toute sa limpidité, simple sans jamais être simpliste. La théorie mimétique prend pour point de départ un donné anthropologique, que nous avons en partage avec les animaux, qui est le comportement d'imitation acquisitive - le fait d'imiter le désir d'autrui de s'approprier quelque chose. D'une intensité sans équivalent chez l'homme, cette "mimésis d'appropriation" constitue le défi premier pour la culture qui veut maintenir la vie collective. Car plus les humains désirent les mêmes choses, plus ils entrent en conflit pour celles-ci.
C'est ainsi que cette première dimension est fondamentale, en ce qu'elle raffine beaucoup la compréhension de la violence, individuelle et collective, en montrant qu'elle surgit avant tout des similitudes et non des différences : c'est la convergence (des désirs) qui cause le conflit, et non la divergence. Les règles mises en place par la culture sont lues et rapportées aux exigences (trop nombreuses pour être expliquées ici) que la mimésis d'appropriation impose au monde social des hommes.
Enfin, d'un second point de vue, cet ouvrage est essentiel car il montre la puissance d'une pensée générative comparée à une pensée descriptive. Girard entend réfléchir de façon scientifique, c'est-à-dire en opérant une réduction méthodologique visant à trouver un principe unique d'explication de la culture. Il cherche à expliquer ce qui, dans la diversité apparente de toutes les cultures du monde, leur est en fait fondamentalement commun. C'est bien sûr la mimésis qui joue ce rôle. Mais c'est surtout affirmer qu'une telle réduction est possible, et qu'elle apporte une capacité explicative que ne permettent pas les visions non génératives (c'est-à-dire qui ne génèrent pas tout depuis un point de départ unique).
C'est en ce sens, notamment, que le structuralisme est critiqué : s'il a bien compris les mécanismes de la violence et du don, une vision unifiée de la culture lui échappe car il doit toujours présupposer une structure préétablie au contenu culturel, qui procède de cette structure et non l'inverse. Or cela limite la possibilité d'explication de certains phénomènes sociaux, puisqu'ils ne peuvent prendre de sens que dans leur différence avec d'autres éléments de la structure, et non par eux-mêmes.
Girard est, heureusement d'ailleurs, beaucoup critiqué depuis la parution de son ouvrage, souvent jugé réducteur ou grossier. Nous sommes pourtant ici face à un modèle de pédagogie, de clarté de la pensée, et de force explicative rarement atteint. Toujours fidèle à l'adage selon lequel "ce qui se pense clairement s'énonce clairement", Girard a, je pense, produit une pensée qui est Majeure, c'est-à-dire qu'elle marque un réel tournant intellectuel au sein du vingtième siècle, en ouvrant toute une nouvelle épistémologie de la violence.
Essentiel.
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