Dans la Madrid du XXIIème siècle, nous sommes en janvier 2109, la société a « intégré » un grand nombre d'androïdes dont la principale mission est de prendre en charge les tâches qui ne sont plus réalisés par les humains.
Bruna Husky, l'héroïne du roman, détective privée, est une techno-humaine, une réplicante de combat.
Le thème parait rebattu et l'on s'attend aux classiques affrontements des humains sur la place grandissante que prennent les androïdes, les « réplicants » comme dit Rosa Montero usant en cela l'un des termes emblématique du vocabulaire de Philip Kindred Dick.
D'ailleurs, l'auteur ne cache pas ses références :
Page 204 on peut lire « Un jour, Yiannis avait fait voir à Bruna, ce vieux film culte du XXè siècle où l'on parlait pour la première fois des réplicants. Il s'intitulait Blade Runner. »
Elle évoque aussi l'institut Asimov…
Le roman de Rosa Montero va au-delà d'une simple imitation de ce genre littéraire. Il complète, actualise modernise, re-conceptualise la geste des humanoïdes dans la SF. En lisant Des larmes sous la pluie, si l'on est amateur des histoires d'humanoïdes dans la SF, on ne peut qu'admirer le travail de Rosa Montero pour absorber, ruminer, digérer et restituer avec intelligence et subtilité des thèmes devenus classiques.
Pour cette raison, je situe ce roman au même niveau que les références littéraires, cinématographiques et télévisuelles du genre. Les romans d'Asimov qui ont posé les termes des lois régissant les rapports humains/robots, les romans de PK Dick qui ont vulgarisé ces règles en les adaptant à un monde technologique et onirique, les films Blade Runner et Total Recall, les séries télévisées, Westworld et Real Humans.
En effet, Rosa Montero a su créer un monde différent et en décrire les caractéristiques sans nous ennuyer. Pour cela, elle a choisi un artifice littéraire qui permet d'avancer dans l'intrigue sans être perturbé par des références historiques.
Yiannis Liberopoulos, un ami de Bruna, est archiviste. En compilant des documents d'archives, il constate, que des modifications interviennent sur leur contenu et déforment le sens de l'histoire. L'ensemble prend 5 chapitres de quelques pages qui interviennent comme un contrepoint à l'énigme et nous permettent de mieux comprendre les positions des uns et des autres.
Nous apprenons ainsi que le contentieux entre les humains et les réplicants ne date pas de 2109, bien avant il y eut des guerres Rep (2060-2063) et des guerres robotiques (2079-2090), qui ont laissés des traces.
Les humains anti-replicant puisent leurs arguments chez Heriberto Labari né le 11 septembre 2001, l'illuminé, auteur de SF et prophète d'une religion dispensée par l'Eglise du Credo Unique qu'il fonde en 2031. Ses fidèles se réfugient sur des satellites de la terre, les Terres Flottantes ou Royaume de Labari.
Gabriel Morlay le grand philosophe et réformateur social androïde inspirateur du Pacte de la Lune qui met un terme à la guerre en 2063 est l'inspirateur du camp des replicants.
L'intrigue s'appuie sur ces faits « historiques ».
Myriam Chi, une réplicante, Présidente du MRR, Mouvement Radical Réplicant, sollicite Bruna Husky et lui demande d'élucider plusieurs affaires inquiétantes pour la stabilité de l'ordre social. Des réplicants se suicident après avoir tenté de tuer d'autres réplicants ou des humains.
Les Labaristes se saisissent de ces événements pour faire monter la pression sur le gouvernement. Des troubles sociaux éclatent. Les réplicants se terrent chez eux. L'ordre économique et social est menacé.
Au cours de son enquête, Bruna Husky acquiert la certitude que les commanditaires de ces crimes et suicident visent à déconsidérer la communauté des réplicants et à redonner tout le pouvoir aux humains.
Paul Lizard, un humain, détective de la Police la suit comme son ombre. Bruna rencontre Pablo Nopal, un humain également, un mémoriste qui écrit les scénarios des souvenirs qui sont implantés dans la mémoire des réplicants et permettent de construire leur personnalité intime.
Dans la gargote d'Oli Oliar, un endroit où l'origine des clients n'est pas considérée comme un critère de sélection, Bruna rencontre une femme-publicité Texaco Repsol et d'autres personnages qui gravitent autour de l'enquête.
Soucieuse de parvenir à faire éclater la vérité, Bruna Husky se débat aussi avec ses propres démons. Elle a perdu son compagnon Merlin et ressent un manque depuis. Elle-même sait qu'il ne lui reste que quatre ans trois mois et dix-huit jours à vivre. le système des réplicants contient une « date de péremption » et intègre la TTT, Tumeur Totale Techno, qui va conduire à leur « mort » après dix années d'existence.
Au-delà de ces différences rep/humain, Bruna a un comportement très humain, elle se saoule en buvant du vin blanc, arrive en retard à ses rendez-vous, consulte un psychanalyste et s'interroge sur sa sexualité.
Roman de SF, cyberpunk n'hésitent pas à l'étiqueter certains critiques littéraires, Des larmes sous la pluie est avant tout un roman sur la différence et la tolérance. Aujourd'hui, nos réplicants ne sont-ils pas ces étrangers que nous avons sollicités pour venir travailler dans nos pays, ou que nos politiques interventionnistes ont poussés à l'exil et que nous utilisons pour donner un visage à nos peurs, à nos inconséquences, à nos fantasmes.