Enchâsser les récits en un jeu sérieux qui transforme les théories en objets littéraires.
Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2016/06/29/note-de-lecture-bis-des-monstres-litteraires-jerome-orsoni/
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le 29 juin 2016
Le Dr Odake, un écrivain émigré dans l’autre hémisphère à Montevideo envoie après des années un manuscrit au narrateur, son ami parisien, dix-huit nouvelles explorant en une centaine de feuillets les jeux de miroirs en littérature et les liens entre réel et fiction, que cet ami nous invite à découvrir à sa suite.
Les monstres littéraires de Jérôme Orsoni sont les personnages de ses nouvelles, comme, dans les plus belles d’entre elles, ce bourgeois bien rangé d’Edimbourg dont la vie est rythmée par la cadence de ses deux montres parfaitement identiques (Les deux montres de David Hume), cet éditeur sans emploi qui devient écrivain par désœuvrement et choisit d’écrire son grand roman sur les vitres de son appartement, avec une écriture en pattes de mouche comme celle de Robert Walser dans l’asile de la Waldau (Les vitres), cet enfant qui sort seul dans les rues, guidé par les lettres qui sortent de son livre et l’entraînent dans une danse folle (Tout le malheur des hommes), ou encore cet insecte qui subit une métamorphose à l’envers en se transformant en homme (Comme «La métamorphose», mais à l’envers).
«J’ai commencé à écrire sur les vitres des fenêtres de notre appartement parce que je ne savais plus quoi faire. Je venais de quitter mon travail, un travail désœuvrant dans une prestigieuse maison d’édition, et il fallait bien que je m’occupe désormais, un peu, au moins. J’aurais pu, c’est vrai, m’occuper du linge, mais les vitres, pour leur transparence, me semblaient bien mieux convenir à cette nouvelle condition d’écrivain que je venais de me choisir. Il me fallait devenir actuel, présent, clair, et limpide. Il fallait que je devienne moi-même, si l’on veut. Pour être tout à fait honnête, d’abord, j’avais vraiment pensé à m’occuper du linge. J’avais même commencé un roman sur ce sujet, lequel roman s’ouvrait par cette phrase : "J’ai commencé à étendre le linge sur le tard".» (Les vitres)
À moins que les monstres ne soient les écrivains eux-mêmes ? Maniant et entremêlant histoires, poésies, essais et critiques, Jérôme Orsoni explore dans ce roman-nouvelles, paru chez Actes Sud en Mars 2015, l’impossibilité de venir à bout des meilleures histoires, la littérature comme univers parallèle pour échapper à un monde dénué de sens, et dont l’obsession peut conduire à l’enchantement ou à la folie, et enfin les possibilités de faire de la fiction une fiction elle-même, jusqu’à son point ultime : quand on n’a plus de sujet, écrire sur l’absence de sujet elle-même.
«Robert Walser savait que c’est encore écrire que d’écrire que l’on n’arrive pas à écrire.» (Enrique Vila-Matas)
Résonances, citations, reprises de thèmes ou de personnages : en mettant ses pas dans les traces de ses illustres prédécesseurs, Jérôme Orsoni n'est sans doute pas totalement lui-même, laissant le poids de l’admiration peser sur sa plume, mais il fait des naître des envies irrépressibles d’autres lectures ou relectures - Enrique Vila-Matas (Bartleby et compagnie, Docteur Pasavento), Robert Walser, Jorge Luis Borges et pourquoi pas Jean-Yves Jouannais (Artistes sans œuvres).
Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/03/28/note-de-lecture-des-monstres-litteraires-jerome-orsoni/
Créée
le 28 mars 2015
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