Retour de lecture sur “Des souris et des hommes” de l’écrivain américain John Steinbeck, publié en 1937. Il a obtenu le prix Nobel de littérature en 1962 et écrit ce très court roman d’environ 150 pages, deux ans avant “Les raisins de la colère”. ils font partie avec “En un combat douteux” de ce qui est souvent appelé la trilogie du travail. Cette histoire se passe en Californie, dans l’amérique rurale des années 30 plongée dans la grande dépression. Elle nous raconte l'histoire de deux ouvriers agricoles, Lennie un grand gaillard un peu simplet et George, qui vont de ferme en ferme pour trouver du travail. Lennie derrière son apparence de colosse, est comme un enfant inconscient de sa force, qui aime toucher ce qui est doux, que ce soit des petites souris, des lapins, des chiots ou la robe en soie d’une femme. George représente l’ami, le protecteur, et semble avoir pris Lennie sous son aile. Une grande amitié lie ces deux hommes qui ont le rêve commun d’acheter leur propre ferme, un lopin de terre, et de vivre de manière autonome. Un dernier travail devait leur permettre de le concrétiser, malheureusement pour eux rien ne se passe comme prévu et leur aventure finit de manière dramatique. Ce livre bénéficie d’une courte préface particulièrement intéressante de Joseph Kessel qui résume parfaitement le génie de l’écriture de Steinbeck. Chez cet écrivain tout est dans la simplicité, Il a une approche d’une superficialité désarmante en apparence et arrive, sans même faire penser ses personnages et en ne décrivant jamais leur démarche intérieure, à leur insuffler une âme, un cœur et une densité humaine impressionnante. Tout passe uniquement par le descriptif, l’histoire, les paroles et les actes, c’est ce qui est assez incroyable. Kessel parle d’un secret impénétrable dont disposeraient Steinbeck et quelques autres écrivains, on ne peut être que d’accord avec ça. Même s’il y a énormément de tendresse, c’est un roman très noir, qui nous montre le revers du rêve américain. Cette Amérique, plongée dans la grande dépression des années 30, est dans une situation sociale particulièrement violente ou la solitude et la cruauté sont omniprésentes pour les laissés pour compte du système et pour ceux qui ne correspondent pas aux normes. Steinbeck nous dresse le portrait de ces deux individus qui subissent cette situation économique, contraints de vivre au jour le jour. On fait également la connaissance de toute une galerie d’autres personnages qui sont tous condamnés à souffrir, qui cumulent encore d’autres handicaps ou difficultés mais qui gardent de l'espérance. Les thématiques abordées, toutes plus ou moins de manière indirecte, sont nombreuses: la face cachée du capitalisme, la pauvreté, le racisme, le droit à la différence. Steinbeck ne prend jamais vraiment parti, ne dénonce rien frontalement, il se contente de raconter son histoire, et se refuse à donner toute morale. C’est au lecteur de juger, cela même pour son personnage principal Lennie qui souffre visiblement d’une déficience mentale et qui finit par commettre l’irrémédiable. Comme pour l’aspect humain de ses personnages, le message politique passe sans avoir à l’aborder, à en parler, juste à travers la situation et son texte magnifique pour la décrire. C’est une histoire d'une grande beauté même si elle est très crue et dure, un livre qui avec cette belle et tragique histoire d’amitié est particulièrement bouleversant. Steinbeck confirme là qu’il est un écrivain fantastique, il arrive en peu de pages, à faire d’une histoire qui est d’une simplicité extrême, un véritable chef d'œuvre, l’un des plus grands romans de la littérature américaine.
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"L’eau est tiède aussi, car avant d’aller dormir en un bassin étroit, elle a glissé miroitante au soleil, sur les sables jaunes. D’un côté de la rivière, les versants dorés de la colline montent en s’incurvant jusqu’aux masses rocheuses des monts Galiban, mais du côté de la vallée, l’eau est bordée d’arbres : des saules, d’un vert jeune quand arrive le printemps, et dont les feuilles intérieures retiennent à leurs intersections les débris déposés par les crues de l’hiver ; des sycomores aussi, dont le feuillage et les branches marbrées s’allongent et forment voûte au-dessus de l’eau dormante…."