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"Go down, Moses, way down in Egypt's land, Tell old Pharaoh, Let my people go."

{http://youtu.be/SP5EfwBWgg0}

Sept nouvelles qui, réunies, forment la Geste des McCaslin (1942), propriétaires d'une grande plantation, et plus particulièrement celle du mystère Isaac, 'oncle Ike', qui renoncera à son dû, à son héritage dans un pays où le patrimoine, le sol, est tout. A partir de là, la dynastie s'échevèle en un imbroglio des plus délicats à débrouiller tant pour nous que pour le comté.

Un des thèmes récurrents de Faulkner est ici traité pour la première fois de front : la chasse. On ne s'en étonnera pas, car on parle de vieille aristocratie du Sud, bien sur et, sans surprise, on recroise les Sartoris, Compson, Sutpen : cela fait profondément partie du fond culturel local (et renforce la sensation de lire une sorte de Comédie Sudiste avec sa tripotée de personnages attachants que l'on porte en soi.) : la chasse est un rite d'initiation du passage à l'âge adulte, dans la droite ligne de la Grèce Antique. Isaac, sous la houlette du vieil indien Sam Father, est bien le chasseur noir de Vidal-Naquet. Aussi car William, même s'il n'en a pas l'air comme ça, aime le grand romanesque, les récits fondateurs et d'aventures qui, se passant au coin du feu de génération en génération, deviennent légendes.
En dernier lieu car l'écrivain, en styliste facétieux, ne décrit jamais directement, à lumière crue, ce qu'il veut raconter, mais a toujours préféré nous parler de l'empreinte plus ou moins fraiche laissée au sol, les branches cassées, le parfum qui flotte encore, pour nous faire imaginer la patte et l'animal.

Ici, l'animal à chasser est le vieux Ben, ours gargantuesque, presque mythologique, qui hante la région et dont la traque s'étalera sur plusieurs décennies et chamboulera à jamais la vision du monde,pou plutôt du Sud, d'Isaac. C'est aussi, surtout ! comme le titre tiré d'un vieux 'Negro Spiritual' et la dédicace à la nourrice noire de l'auteur nous l'indiquent, la question de l'esclavage qui est à l'œuvre, de biais, là-dedans. La réponse à l'énigme d'Isaac sera ainsi à chercher de ce côté là...

Chasse ou plutôt chasses : chasse au cerf, chasse à l'ours, chasse à l'esclave, chasse à l'or aussi, surtout chasse aux souvenirs. Non, pas de chasse au bonheur, semble-t-il, dans ce pays maudit. Faulkner est arrivé après la guerre, pétri de regrets, il nous conte toujours la fin du monde de ses ancêtres, d'une blessure jamais vraiment guérie, d'une culpabilité lourde qui peine à trouver ses mots, qui peine même à se trouver. Ici, c'est quand la brousse, sous la course du progrès, du chemin de fer et de la vapeur en la première moitié du XXe siècle, recule irréductiblement vers le delta (la nouvelle 'Automne dans le Delta' qui se déroule une vie après l'Ours).

« Et, lorsqu’il lui parlait de cet ancien temps et de ces gens, morts et disparus, d’une race différente des deux seules que connaissait l’enfant, peu à peu, pour celui-ci, cet autrefois cessait d’être l’autrefois et faisait partie de son présent à lui, non seulement comme si c’était arrivé hier, mais comme si cela n’avait jamais cessé d’arriver, les hommes qui l’avaient traversé continuaient, en vérité, de marcher, de respirer dans l’air, de projeter un ombre réelle sur la terre qu’ils n’avaient pas quittée. »

L'explosion stylistique finale de l'Ours renoue avec le Faulkner d'Absalon, Absalon ! (1936), celui aux phrases qui, interminables, s'épaississent par couches successives, tournicotent, se plient, se replient et se déplient, comme une pensée qui se forme et se concrétise en direct, toujours à bout de souffle (les personnages ont souvent du mal à respirer), à bout de sens, et à partir de bouts de papiers jaunis de vieux registres à l'orthographe douteuse d'une plantation l'on reconstitue le passé – on remonte la piste des empreintes – et comment ce passé, terrible, tel un fusil toujours chargé, fait long feu ou nous pète à la tronche. Car le flux de conscience, les mots disparates ou d'imbécile sans ponctuation, ça reste grosso modo confiné au Bruit et la Fureur et à Tandis que j'agonise. Son style, il faut le comprendre, est extrêmement littéraire, longues phrases à la construction savante et au lexique soutenu d'un lecteur de Proust ; point d'argot ou de patois hors dialogues : très européen en somme et à l'opposé du style télégraphique d'un Hemingway.

« Songe à tout ce qui est arrivé ici sur cette terre. Tout le sang chaud et fort pour la vie et pour le plaisir qui est retourné en elle. Pour le chagrin et la douleur aussi, bien sûr, mais en en tirant toujours quelque chose pour tout cela, en en tirant beaucoup, car, après tout, on n’est pas obligé de continuer à supporter ce que l’on croît être de la souffrance : on peut toujours choisir de l’arrêter, d’y mettre fin. Et même le chagrin et la souffrance sont mieux que rien ; il n’y a qu’une seule chose pire que de ne pas être vivant, et c’est la honte.»

Créée

le 24 avr. 2014

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Nushku

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