Très pertinent choix d'écriture à mon sens, qui privilégie la fougue et l'imperfection (un rien beatnik dans sa spontanéité ?) ; cette écriture à la sauvage me semble si bien rendre l'esthétique du désert, ses plaines mouvantes parsemées d'épineux hagards et traversées parfois d'une broussaille vagabonde. Il y a aussi dans l'écriture ce motif de la crue soudaine qui revient souvent dans le livre, ces torrents rougeâtres qui soudain dévalent les canyons desséchés, balayant tout sur leur passage avant de les rendre à la sécheresse.


Voyage au pays des canyons. En terme de paysages, d'immersivité, c'est un livre très puissant. Il se trouve que le désert est un environnement qui en moi entre particulièrement en résonance donc ce n'est pas très étonnant, mais la richesse du vocabulaire, la précision des descriptions et toutes les réflexions et morceaux de folklore qu'Abbey détaille font que même un désertophile modéré devrait y trouver largement son compte.


La réflexion est assez inégale, il y a des choses très intéressantes sur la gestion des parcs et leur avenir, et les contradictions d'Abbey sont assez touchantes (il n'est pas McCandless, il a son salaire et sa jeep, et beaucoup de conserves). D'autres remarques ont interrompu ma lecture et m'ont un peu blasé, genre sa pseudo-distinction entre civilisation et culture et la généralisation qui s'ensuit, le conduisant à dire "Sartre c'est la civilisation [pouce vert], Cocteau c'est la culture [pouce rouge]", non franchement Abbey là tu outrepasses ta fonction...
J'ai parfois été un peu contrarié du peu de présence octroyée aux cultures amérindiennes, elles sont surtout "incluses dans le paysage" (pétroglyphes, campements anciens) mais Abbey en vient parfois à les oublier dans ses oppositions entre "nature" et "civilisation états-unienne".


Bon, pour résumer. Ce livre, en termes de sensiblisation au désert, à cet être immense qu'est le désert, est assez brillant. Suscite aussi de l'émotion et de la colère, notamment l'épisode d'exploration de Glen Canyon qu'on sait voué à disparaitre peu après à cause d'un [putain de] barrage.


En résumé, si vous n'avez pas l'occasion de randonner dans le désert bientôt, et que ça vous attriste, lisez Désert solitaire. Vous en sortirez surement assez rassasié. Si vous aimez les styles qui foncent, qui privilégient l'élan, qui préfèrent rester junglesques que jardin-japonais, vous accrocherez très vite.
Et puis c'est quand même tellement chouette de lire le quotidien de ce type qui au réveil vérifie si le crotale sous sa caravane a bien dormi...


J'ai pas ignoré dans ma critique les défauts, les trucs qui m'ont chiffonné, mais finalement il est beau comme ça, complètement imparfait, faut bien avoir un peu de sable dans les dents, ce sont des sujets (nature/civilisation) qui sont tellement délicats, j'aime bien le fait qu'Abbey les prenne à bras le corps, en sachant qu'il va se foutre des épines dans la peau, et qu'on ne sort pas irréprochablement indemne de ce genre de réflexion. C'est sûr que ce bouquin je le mets en gras dans ma liste de lectures de l'année (:


Pour sa traduction, Jacques Mailhos a reçu en 2011 le prix Coindreau.
(PS : Le titre original c'est : Desert solitaire. A season in the wilderness. Ca me fait rigoler parce que depuis que je le sais, je ne peux pas m'empêcher d'appeler ce livre, même dans ma tête, "Désewr sowlitaiwr"...)

Rasp
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le 9 sept. 2019

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