"Deux dents de cachalot" est le premier album édité par la maison Chauve-Souris, qui avait jusqu'alors produit des romans pour le lectorat Intermédiaire des 8-12 ans. C'est un album grand format mou de 42 pages prenant place à l'époque coloniale, alors que la ville québécoise de Magog a déjà 90 ans, et qui s'intéresse à différents éléments de cette époque, dont le légendaire "monstre du lac Memphrémagog".
William a six ans et demi et fréquente l'école de son village, Magog. Nous sommes en 1889. À cette époque, certaines choses peuvent nous sembler particulières, comme le fait que William fréquente la même classe que son aîné, Charles, 13 ans, qui a presque le même âge que son institutrice, Mademoiselle Mélina. Tous les élèves ont donc des exercices différents selon leur niveau, mais sont dans la même classe. Ce jour-là, il est question d'additions, mais William, grand créatif, préfère voir dans son "10 + 8" un bonhomme de neige qui tient un balais. Pendant la récréation, William modifie le plan de sa classe qu'il a dessiné par lui-même, ajoutant le poêle central dont son aîné a la charge d'entretenir la combustion qui réchauffe l'école. Il mentionne qu'avec ses 14 ans approchant, Charles va devoir bientôt gagner sa vie comme la plupart des jeunes de cet âge. Il va probablement travailler à l'usine de textile, à charge de six jours par semaine. Un peu lunatique, mademoiselle Méline doit souvent rappeler "Williaaam" ( dont elle traine les voyelles) à son travail. Après une récitation, Elisabeth , amie de William, lui confie avoir parler de ses problèmes à écrire les "M" à Florence, sa voisine. Elle lui propose d'aller la voir pour pratiquer chez elle, cette fois à l'aide d'une plume sur papier plutôt qu'une craie sur ardoise. Pendant ce temps, elle compte faire de la broderie.
Après l'école, c'est monsieur Ralph, le papa de mademoiselle Florence, qui vient chercher les deux enfants en carriole. Alors qu'il se fait gentiment baladé par des chevaux, bien au chaud sous des peaux de castor, il croise la route de son frère, un peu envieux, sans doute. Une fois chez Florence, William nous présente les "Cinq Ralph Merry", expliquant qu'à l'époque, il n'était pas rare de donner le même prénom à plusieurs générations de suite. Monsieur Ralph cinquième du nom est l'un des plus importants hommes du village. Après une brève explication sur la provenance des allumettes de marque "Lucifer" dont il se sert pour allumer une lampe, il s'attèle à allumer le poêle. Un peu inquiet devant la finesse de la pointe de la plume qu'il devait utiliser pour écrire ses "M", William s'active à pratiquer ses lettres. Il explique ensuite que monsieur Ralph IV a été le premier instituteur de Magog, que mademoiselle Florence, sa soeur et même le mari de sa soeur ont exercé cette profession. William aide ensuite Elisabeth à cercler son tambour à broderie, sur lequel Elisabeth va reproduire le "10+8" devenu bonhomme de neige de William. Elle lui confie qu'il pourra tenter la broderie après avoir réalisé sa série de "M". Une fois encore, l'enfant imaginatif voit dans la forme des deux bosses de la lettre "M" le dos d'un monstre du lac. Il demande alors à Monsieur Ralph si le monstre ressemble bien à cela.
Un peu perplexe à l'évocation du potentiel monstre, William affirme que presque tous les villageois en parle. Monsieur Ralph explique que ces ouï-dires proviennent du journal de son oncle. Selon lui, les autochtones ne se baignaient pas dans le lac en raison de la présence des alligators et des serpents géants. Un peu affolé à cette idée, William pointe alors deux dents exposées dans une vitrine en demandant si ce sont là des dents d'alligators. L'homme raconte alors d'où proviennent ces dents, celle d'un cachalot en réalité. Quand Ralph et son frère Hiram ont été cherché du travail à Boston, ils ont été engagés dans un équipage qui chasse la baleine. On chasse ces immenses mammifères pour produire l'huile des lampes, du savon et des bougies. Une chasse qui se fait de façon si intense que les baleiniers voguent toujours plus loin, ce qui n'est pas sans risques. Quand L'équipage de Ralph et Hiram s'est retrouvée sur le dos d'un cachalot et que leur capitaine a ordonné de harponner la bête, le sursaut de l'animal souffrant propulse la barque dans les airs, catapultant Ralph, qui a bien faillit se noyer. Heureusement, il a été sauvé par un de ses compagnons. de là proviennent les deux dents.
Pour récompenser les efforts de William, monsieur Ralph donne au garçon un cahier neuf, une plume et un encrier. Il termine sur ses mots: J'ai hâte à demain pour écrire la suite de mes aventures dans mon journal".
C'est toujours intéressant d'avoir des albums qui s'intéresse à notre patrimoine et notre Histoire, il y a donc pleins d'éléments pertinents à découvrir en ce sens. Je mentionne toutefois que le texte prend beaucoup de place, c'est donc un album qui conviendrait davantage au lectorat du second cycle primaire des 8-9 ans+, à mon sens. Il peut aussi bien être lu en tant que roman illustré qu'en lecture feuilleton. Certaines pages vont jusqu'à douze phrases, mais la majeur partie est illustrée. Je pense qu'on aurait pu circonscrire davantage le texte ou réduire les dialogues, de sorte qu'il s'adapte au lectorat des 6-7 ans également et donnerait moins l'impression que le texte occupe beaucoup d'espace. C'est un élément que j'ai beaucoup retrouvé dans les albums des autoéditions, cette charge de texte imposante et répartie comme dans un roman sur une portion de page ou une pleine page. le texte n'est pas intégré aux illustrations, il donne l'impression que ce sont les illustrations qui sont ajoutées aux textes.
Il y a aussi une petite confusion sur l'emploi du narrateur, qui s'adresse parfois aux lecteurs comme s'ils étaient des témoins, mais pas de façon uniforme ni continue. Au début, il parle carrément aux lecteurs, même Charles le frère lui demande à qui il parle. Quelque part au centre de l'album, il demande au lecteur de deviner ce que sera son Élisabeth plus tard avec trois choix en graphisme). Je pense que ça peut porter à confusion d'alterner narrateur complice et narrateur personnage.
Ont doit les sympathiques illustrations à Sans Cravate, qui a illustré l'hilarant album "Dernière heure" aux éditions Fonfon et le tout aussi sympathique "La Légende de Paul Thibault" aux éditions 400 coups. On doit à le texte à l'autrice que a écrit le roman "À l'eau", une enquête très intéressante sur le thème rare du trafic d'art entre le Mexique et le Canada, que j'ai beaucoup apprécié, édité lui aussi chez Chauve-Souris.
Je note aussi le côté doux rêveur de William, le genre à laisser égarer ses pensées aux quatre vents et pour qui l'école classique n'est peut-être pas idéale. Heureusement que mademoiselle Mélina semble avoir la petite touche magique avec lui, malgré ses 15 ans.
C'est un album intéressant, qui aurait gagné à être plus court, mais qui pourra convenir aux lecteurs plus vieux. Il s’inscrit dans les albums historiques tels que "Les oreilles de Chester" ( Maison De l'Isatis), "La course des petits bateaux" ( maison Sarrazine) ou encore le très beau "Ce n'est pas comme ça qu'on joue au hockey" ( Maison Québec Amérique). Ces quatre-là peuvent former un beau groupe sous le thème du patrimoine Québecois!
À voir!
Pour un lectorat intermédiaire à partir du 2e cycle primaire, 8-9 ans+