Ce livre a plusieurs avantages : il est court et va droit au but.
Pourtant, la tâche était loin d'être mince, il fallait réfuter Rousseau sur la liberté individuelle et Marx sur la création d'un Etat dont la gestion serait assurée par les travailleurs.
Bakounine, à travers son ouvrage a réussi ce tour de force. On est d'accord avec lui ou non, on peut lui reprocher que ses idées soient utopiques, qu'il surestiment la capacité et surtout l'envie que le peuple aurait de se soulever pour abolir toute forme de pouvoir théologique ou souverain, on ne peut pas rester de marbre face à l'énergie de son texte, de la fougue qu'il dégage, et, même si je rejette toute absence d'ordre et de hiérarchie, je suis ému de lire un auteur si dévoué à la défense de son sujet.
Les idées qu'il développe poussent à réfléchir, à débattre. Amoureux de la liberté, comme Chateaubriand qui est pourtant à l'opposé politiquement, il rejette la liberté individuelle chère aux Lumières pour défendre l'idée de la liberté sociale. Chez Jean-Jacques, l'homme se sépare de sa liberté en vivant en société, or Bakounine pense que la société engendre la liberté. Si l'on crée un seul et unique groupe de personnes, sans aucune distinction, alors tout le monde sera sur un même pied d'égalité, et tout le monde foutra la paix à son voisin. Je suis libre si mon voisin l'est. Et plus on est nombreux à être libres, plus la liberté grossira et s'étendra. Mais pour aboutir à une telle égalité sociale, il faut désintégrer deux obstacles majeurs : Dieu et l'Etat, objets de servitudes intemporels qui asservissent les hommes et créent des inégalités.
Évidemment, ça paraît un peu simpliste, mais ça a le mérite de pousser la réflexion pour contre-argumenter. Par exemple, je suis athée et pour l'ordre hiérarchisé, et ça m'a donc mis en face de ma propre contradiction. Bon, l'argument de la médiocrité humaine revient toujours, et une société telle ne peut fonctionner tant que l'humain aura ses failles, sa jalousie, sa soif de pouvoir, voilà pourquoi les anarchistes prônent aussi une violence pour faire table rase, ce qui peut être justifié si l'on évite le point de vue moral, plus facile à dire qu'à faire.
Je préfère le passage où Bakounine réfute les communistes, leur montrant qu'il était bien plus extrême qu'eux. Marx veut abolir les privilèges de la bourgeoisie mais former une classe dominante de travailleurs pour gouverner. Pourquoi abolir des privilèges pour en recréer d'autres ? Du moment où il existe une classe dominante, il existera des privilèges et des prérogatives.
Bakounine ne veut aucune souveraineté, seulement un groupe de personnes pour soutenir les révoltes du peuple contre l'ordre. Les paysans, exclus par Marx car propriétaires de leurs terres ou trop affiliés à la bourgeoisie par leur enrichissement personnel, sont les bienvenus pour Bakounine, parce qu'ils sont une force supplémentaire pour renverser l'ordre.
Même si on est royaliste légitimiste, il n'y a aucun mal à lire les idées de l'autre bord, surtout quand le texte est concis et argumenté.