Kleo
7.1
Kleo

Série Netflix (2022)

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Belmondo, Seagal, Norris et Bruce Lee ne font pas le poids.

J’aurais pu mentionner Popeye aussi, mais celui-ci ne devient invincible qu’une fois après avoir ingurgité des épinards, faiblesse qui l'exclut donc de la perfection. Bugs Bunny, j’y ai pensé aussi, mais j’ai des souvenirs de lui en train de se faire martyriser ou même de perdre la face, exclu donc aussi, le lapin.

Dans ma critique sur le livre Papillon, je me demandais ce que donnerait le rejeton issu de l’union entre la mère de Romain Gary et Henri Charrière, eh bien, en regardant cette soi-disant merveilleuse série Netflix, j’ai trouvé une réponse : Kleo.

Après un premier épisode plutôt sympathique, où l’emprisonnement et le sort subi par la donzelle divine apportait une profondeur dramatique réelle (perte d’un enfant in-utéro, trahison, décision de justice arbitraire), tout fout le camp dès l’épisode deux, et l’apogée est atteinte avec l’épisode trois.

Pour les facteurs de la profondeur dramatique évoquée plus haut, il faut tout de même mentionner que Kleo est une victime, elle est victime d’un coup de pied donné dans le bas ventre, victime des manipulations politiques orchestrées par son grand-père et autres gradés de la RDA, et victime du despotisme régnant dans les tribunaux, dont l’autorité judiciaire est discutable, au point de vue moral et international. Kleo n’a rien fait, elle subit toutes ces horreurs alors qu’elle est pure, gentille, sympathique et pétillante, et même son activité de tueuse pour la Stasi lui donne un côté sombre qui ravit les adolescentes, et pis, elle tue des méchants, donc elle est vertueuse.

Avec la libération de l’Allemagne et la chute du mur de Berlin, Kleo est libérée, et décide de se venger de tous ceux qui l’ont trahie, et c’est ainsi que débute le grand-guignolesque. En deux épisodes, on voit Kleo : soulever une quinquagénaire relativement adipeuse et lui empaler le crâne dans un porte-manteau sans difficulté, défenestrer un gros lard armé, voyager à Majorque avec une malle contenant une arme (pas mal, la sécurité de l’aéroport de Berlin), gagner son duel contre un agent du KGB armé d’un flingue avec une tranche de mortadelle, agent à qui elle échappe en grimpant on ne sait comment au plafond et en se maintenant sans embarras entre les poutres dont l’espacement fait pile poil la bonne largeur, voler une veste de costume et y insérer un micro fabriqué en dix minutes, et concocter un poison létal en moins de temps. Kléklé la tueuse est donc aussi acrobate, chimiste, électrotechnicienne et dotée d’une force herculéenne. En prime, elle maîtrise le lancer de charcuterie.

Mentionnons aussi avec quelle aisance elle s’adonne à tout ça, sans le moindre problème, symbole du genre de facilités scénaristiques qui annihile toute profondeur dramatique, toute tension. On est ici simplement en train de regarder un épisode des Looney Toons, où Bugs Bunny met la misère à tout le monde en s’amusant, bénéficiant d’un savoir-faire ubique et ayant à sa disposition tous les outils idoines pour mener à bien son espièglerie. Mais les Looney Toons ne se prennent pas au sérieux, Kléklé, si.

Syndrome de l’héroïne toute-puissante, invincible, qui bâfre toute la lumière avec gourmandise, reléguant de facto les personnages secondaires qu’en de simples faire-valoir uniquement utiles à la faire briller davantage. Exemple : le camé qui a pris son appartement est un fieffé nigaud qui l’adule parce qu’elle choisit de l’épargner. Sa bêtise et sa soumission montrent à quel point Kléo est « trop cool » et « trop badass », c’est aussi insupportable à voir qu’à écrire. Le flic zélé qui la poursuit se fait avoir en quelques secondes lorsqu’il la rencontre et qu’elle lui mordille l’oreille en le quittant, pour montrer que « oh non, elle juste trop folle quoi » (avec la voix de péronnelle qui a redoublé sa 4e qui va bien avec). Le pompon du ridicule étant atteint lorsqu’elle lui met de la drogue dans sa poche en douce, et que pile à ce moment précis, deux flics espagnols passent pour entendre la dénonciation de Kléklé qui les invite à fouiller la poche du flic Allemand pour le mettre hors-circuit. La seule pseudo-menace de l’héroïne est court-circuitée en une minute et de manière burlesque.

Ah non, le pompon du ridicule est ce qui m’a poussé à arrêter de regarder. C’est le moment où Kléklé, après s’être invitée chez l’ancien gradé de la RDA qui est sa cible, s’introduit dans sa chambre en feignant d’aller aux toilettes, lui dérobe une veste blanche en la jetant sur une corde à linge située (encore une fois) pile au bon endroit, bien cachée de ses hôtes, ramène cette veste chez elle, fait de la couture (un autre talent, et pour lequel elle est bien équipée) pour y introduire le micro fait maison, s’introduit de nouveau chez eux dans la nuit pendant qu’ils dorment à côté, range la veste et s’en va, le rythme cardiaque apaisée par son omnipotence. Évidemment, le jour-même, sa cible organise une grande réception chez lui, et il choisit de mettre cette veste blanche parmi toutes les autres. L’apogée du ridicule. Bugs Bunny ne fait pas mieux.

Mais le lapin gris à la carotte vit dans un dessin animé où les lois sont absurdes, où rien n’est pris au sérieux, donc c’est cohérent et ça fonctionne. Pareil pour Popeye et les autres. Mais là, Kléklé fait ça dans une représentation de la vraie vie, et se prend très au sérieux. Elle est systématiquement mise en scène de manière à être adulée, la réalisatrice veut absolument qu’on la trouve formidable, drôle, insouciante, belle, confiante, charismatique. Elle dénude et ligote des agents du KGB et leur parle en russe, car elle parle sans doute tous les dialectes du globe terrestre, ne les délivrant qu’après les avoir humiliés avec son couteau et son air à la fois sûr d’elle et menaçant, pour mieux les admirer ensuite s’enfuir à poil, comme des animaux apeurés, pendant qu’elle bouffe du pain avec toute l’assurance et la décontraction inhérentes à la divinité absolue qu’elle est.

Belmondo gagne ses combats seul contre dix autres gars, résout des enquêtes, terrorise tous les méchants et le tout avec son air rieur et jovial. Insupportable. Seagal fait pareil mais avec un visage fermé. Chuck Norris c’est pareil, mais version américaine, donc encore pire. Mention spéciale à Bruce Lee, parangon du mec invincible et intouchable qui sauve les gentils. Je suis sûr qu’il y en a plein d’autres, je déteste ça, ces héros imbuvables qui réussissent tout sans forcer, gagnent tout le temps, jouissent de circonstances toujours favorables, etc. Kléo, c’est ça. Tous les gars cités plus haut m’ont filé la nausée quand j’étais ado, voire enfant, maintenant que je suis un adulte avec une calvitie, je supporte encore moins. Nul.

Pour mentionner de bons films où une femme se venge après avoir subi des horreurs, préférez largement La Traque, Le retour de l’Inspecteur Harry ou même Kill Bill (les deux), où le côté héroïne invincible est atténué par un rythme superbe, des combats énormes et surtout des antagonistes réellement menaçants, pas de simples faire-valoir.

Ubuesque_jarapaf
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le 21 oct. 2022

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