Le sort de l'ironie
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Ce serait, je crois, faire erreur que de voir dans le Discours de la servitude volontaire un classique aujourd'hui désuet qui ne serait bon que pour la culture générale ou historique. Ce pamphlet est toujours d'actualité, parce qu'il est intemporel. De nos jours, c'est pratiquement devenu un lieu commun de déplorer que le pouvoir n'ait pas assez de pouvoir et d'exiger qu'il soit plus autoritaire. Plus de lois, plus de réglementations, plus d'impôts, contre l'anarchie ultra-libérale, tels sont les mots d'ordre de notre ère. En France, la servitude est tellement entrée dans les mœurs qu'à la moindre difficulté, la question n'est pas : "Que devrions-nous faire pour résoudre ce problème ?" Mais : "Qu'est ce que le gouvernement devrait faire pour résoudre ce problème ?". On se figure qu'il suffit que le pouvoir soit au service du Bien sans s'apercevoir que le mal réside précisément dans le pouvoir lui-même. La Boétie dénonce les mystifications selon lesquelles le pouvoir pourrait être au service du peuple, l'idée sotte selon laquelle un gouvernement pourrait être "généreux" (alors que tout ce qu'il donne, il l'avait spolié), ou encore selon laquelle il suffit de s'en prendre aux riches.
Il y a effectivement tellement de gens qui attendent de la politique des hommes providentiels à qui se soumettre, qui recherchent surtout des personnalités à admirer, des modèles, des héros, des guides, des leaders charismatiques, des pères des peuples, des grands timoniers, comme l'avaient été en leur temps Napoléon, Hitler, Staline, Che Guevara, Mao et bien d'autres. Il faut croire que beaucoup de gens sont faits pour servir et sont inaptes à l'autonomie. Ils n'ont rien contre le pouvoir en tant que tel : ils veulent juste que celui-ci soit conforme à leurs désirs. Frédéric Bastiat disait dans La Loi (un autre petit pamphlet que je recommande en complément de La Boétie) :
Il y a trop de grands hommes dans le monde ; il y a trop de législateurs, organisateurs, instituteurs de sociétés, conducteurs de peuples, pères des nations, etc. Trop de gens se placent au-dessus de l'humanité pour la régenter, trop de gens font métier de s'occuper d'elle.
Bastiat avait raison, mais il y a pire, et c'est le message de la Boétie, il y a surtout trop de gens prêts à soutenir ces maîtres du monde. (A fortiori quand le pouvoir passe pour philanthropique.) Les crimes de la plupart des dictateurs n'étaient possible que parce qu’ils s'appuyaient sur des gens qui partageaient avec eux les mêmes visions et les mêmes idées. Seuls, sans ce collectivisme, donc comme individu, ni Hitler, ni Staline, ni Lénine, ni Franco, etc... n'auraient pu commettre leurs crimes. L’individu peut être dangereux, mais jamais autant que le collectif, c'est-à-dire la stupidité multiplié par x. Il faut toujours des esprits alertes, indépendants, des opposants, pour préserver la liberté.
Le Discours de la servitude volontaire est avant tout un plaidoyer passionné pour la liberté, une lecture incontournable à notre époque où on nous explique parfois sans rire que "la liberté n'existe pas".
Il est néanmoins regrettable que ce texte soit si souvent interprété de façon contraire à son message. En particulier par ceux qui prônent "le pouvoir au peuple"... comme disait Benjamin Constant (qui reprenait là une idée de Montesquieu) :
L'erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes, vient de la manière dont se sont formées leurs idées en politique. Ils ont vu dans l'histoire un petit nombre d'hommes, ou même un seul, en possession d'un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal ; mais leur courroux s'est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n'ont songé qu'à le déplacer.
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Créée
le 7 mars 2014
Modifiée
le 7 mars 2014
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