Pantelante, bouleversée, vidée, le corps mou, les mains tremblantes et la tête d'une fille inconsolable et insomniaque. C'est dans cet état que je rencontre une amie, responsable d'une médiathèque : « Alors, tes vacances ? », me demande-t-elle. Je bafouille lamentablement quelques mots sans aucun sens et très vite, j'en viens à ce qui me paraît être l'essentiel : « Écoute, dis-je dans un souffle, je viens de finir le dernier livre de Fottorino, lis-le, vraiment, lis-le ! Ce texte est d'une beauté absolue. Quelle écriture, mais quelle écriture ! Lis-le et commande-le très vite ! »
Je suis là, physiquement dans les rues de ma ville, mais mon esprit est ailleurs, à leurs côtés, auprès du fils et de la mère, dans les ruelles du vieux Nice. La tête me tourne encore un peu. Je laisse mon amie éberluée. Elle connaît Fottorino, elle l'a fait venir dans sa médiathèque il y a quelques années. Au fond, je sais qu'elle n'est pas surprise malgré tout. A coup sûr, le livre sera bientôt sur le présentoir Nouveautés…
Bon, comment trouver les mots pour vous parler d'une telle splendeur ? Parce que… attention ! ce livre n'est pas seulement « touchant »  par son propos, non, il est aussi et surtout merveilleusement bien écrit. De la première à la dernière ligne. Pure magie, beauté absolue de ces dernières pages, moments de grâce et de poésie totale…
Allez, il faut que j'entre dans le sujet : si ce texte a indéniablement une dimension autobiographique, il est néanmoins appelé « roman ». Ah, la part du réel et de la fiction… J'imagine que dans les futures rencontres littéraires autour de son « roman », Éric Fottorino sera assailli par ce genre de questions. Moi, je ne veux pas savoir. Ce qu'il raconte là me convient parfaitement. La fiction me comble. Le reste… n'est que littérature !
À la fin d'un repas de famille, Éric, la cinquantaine, et ses deux frères sont priés d'écouter ce que leur mère a à leur confier. Pour les trois hommes, la révélation est un choc. Un petit pan de la vie de cette femme se trouve révélé au grand jour. Les frères dissimulent difficilement leur émotion. Mais Éric reste de marbre. Il s'en veut mais ça fait un bout de temps qu'il ressent sa mère comme une étrangère, quelqu'un qu'on regarde de loin, que l'on ne parvient pas à serrer dans ses bras, qu'on a, disons-le, du mal à aimer…
Chacun rentre chez soi et la vie continue…
Sauf que, pour Éric, ça bloque. Impossible d'avancer. Il lui faut savoir, aller voir, tenter de comprendre pourquoi une distance infranchissable l'empêche d'accéder à celle qui lui a donné la vie. Alors, il se rend là où il est né : Nice. Une ville qu'il ne connaît pas puisque tout de suite après sa naissance, la mère et l'enfant sont repartis à Bordeaux où la famille vivait. Il lui faut comprendre comment, alors qu'elle s'est retrouvée enceinte à dix-sept ans d'un homme qu'elle aimait, Moshé, un juif marocain, comment cette femme qu'il a toujours eu un mal fou à appeler « maman » a vécu cette mise en quarantaine, cette solitude absolue à une période de la vie où l'on a tellement besoin d'être entourée, rassurée, aimée.
Éric va donc partir dans un lieu que sa mère a quitté depuis longtemps, il va arpenter les rues de Nice, monter jusqu'au petit village d'Ascros où elle logeait, marchant à la rencontre de cette femme qu'il ne connaît pas.
Comment vous décrire ces pages, cette recherche d'une mère dans une ville où il l'imagine à chaque coin de rue, où il tente de saisir ce qu'elle a pu ressentir, elle, l'adolescente de dix-sept ans, à peine sortie de l'enfance, la façon dont elle a vécu cette immense solitude, loin de sa famille, loin de l'homme dont elle espérait encore le retour...
Le narrateur va peu à peu comprendre que pour se soumettre aux diktats de la société de l'époque, on l'a littéralement dépouillé : on lui a volé sa mère, son père, sa judéité, son identité. Il doit maintenant faire le chemin inverse, repartir aux sources afin de savoir qui il est, qui est celle qui l'a mis au monde, avançant à tâtons dans ce passé lointain où il n'était qu'un enfant, interrogeant celles et ceux qui ont connu cette femme ou croisé son chemin, s'accrochant à ce fil ténu qui petit à petit va le mener jusqu'à elle…
De nouveau, l'émotion me gagne.
J'arrête là.
C'est magnifique et la fin... inouïe. Une pure merveille...


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le 1 sept. 2018

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