Treizième livre publié extrait de la bibliothèque du post-exotisme par Antoine Volodine, «Dondog» fut publié en 2003 aux éditions du Seuil, dans la collection Fiction & Cie.
Au sortir de trente ans d’enfermement dans les camps, après avoir survécu aux exterminations des Ybürs, Dondog Balbaïan sent bien qu’il va vers la fin et qu’il ne lui reste que très peu de temps avant de disparaître. Il voudrait se venger des responsables du malheur avant son extinction, mais de qui et pourquoi ? La mémoire de Dondog est défaillante, et, dans les ténèbres de son amnésie, au bout de sa vie d’Untermensch, trois noms de bourreaux le hantent, Gulmuz Korsakov, Tony Bronx et sans doute Éliane Hotchkiss.
À partir de ces noms, des lambeaux de sa mémoire, de souvenirs cauchemardesques, Dondog dit, ou parfois murmure ou grommelle des récits, et suggère l’utopie défaite, la barbarie et la mort de l’espoir.
«La silhouette d’Eliane Hotchkiss trois secondes flotta derrière ou devant ses yeux, sans chair ni étoffe, sans apparence précise. Le nom était là, lié à son désir impérieux de vengeance avant la mort, mais, en dehors du nom, l’image était illisible. C’était comme s’il avait mentionné une image secondaire d’un rêve de son enfance, ou comme s’il avait évoqué une maîtresse furtive du temps des camps, lorsque la nuit on l’enfermait au pavillon des grands blessés et des fous, ou encore comme si elle avait appartenu aux courtes années de clandestinité totale, quand jour après jour se perdait la guerre pour l’égalitarisme et le châtiment des progromistes, des mafieux et des milliardaires. Le flou entourait Eliane Hotchkiss. Comme Tony Bronx ou Gulmuz Korsakov, elle se cachait au fond d’un des abîmes décevants de sa mémoire, dont une grande quantité était à jamais clos et inexplorables. Mais elle était moins distincte que les deux autres.»
Dondog cherche ses bourreaux dans une cité obscure, où ne survivent plus que les insectes et quelques autres gueux ; sa mémoire et sa volonté vacillent et les personnages et les événements eux-mêmes semblent frappés d’amnésie et d’incertitude, tandis que les récits, où les personnages s’entrecroisent et changent d’identité, semblent démultiplier la parole de Dondog.
«Nuits, passé, hallucinations secrètes, expérience vécue, constructions enfantines, réalité et réalités parallèles se confondaient. Dans quelle sphère de la mémoire, par exemple, devait-il ranger les fermes à l’abandon, les hauts plateaux et les steppes qui l’obsédaient ?... Et ces temples enfumés, ces villes portuaires que la guerre civile ensanglantait ? D’où venaient ces individus qui s’adressaient à lui comme s’ils étaient de proches parents ?... Quand avait-il erré dans ces immenses labyrinthes urbains aux issues toujours closes avec des barbelés ? Et ces maisons de feutre, ces yourtes mongoles où sa famille se comportait d’une manière incompréhensible, y avait-il dormi ou non, et quand ?»
Noir et bouleversant.
«Les êtres aimés disparaissent, la révolution mondiale s’éparpille en poussière comme une bouse sèche, dans l’espace noir on ne rencontre plus les personnes qu’on aime, les golems s’effondrent les uns après les autres, le sens de l’histoire s’inverse, les passions dérivent vers le rien, la signification des mots s’évanouit, les ennemis du peuple et les mafias triomphent à jamais, les rêves trahissent la réalité, mais la vengeance subsiste, un chicot irréductible de vengeance qui n’a plus aucune justification, qui se limite à un geste de violence sur une cible très douteuse. Et ceci encore, le plus révoltant : on n’échappe pas à son schwitt.»
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