C’est une chose étrange que de lire un poète populaire. Au début, nous ouvrons le livre avec un peu de mépris, ce qui plaît à tant de monde ne peut pas être bon. Car nous nous souvenons, hélas, des lectures de Rupi Kaur et de Cécile Coulon. Puis nous reviennent en mémoire d’heureuses surprises, comme Prévert, qui bien que populaire est très bon. Ou encore les Birthday letters de Ted Hughes, faisant partie des meilleures ventes dès sa sortie, est une merveille absolue. Ritsos et Leonard Cohen terminent de nous convaincre que non, les poètes populaires ne sont pas par essence mauvais.
Puis vient Amanda Gorman.
« Nous avons commencé à perdre des mots/ Comme les arbres oublient leurs feuilles à l’automne. » Le lecteur facilement impressionnable sera ravi de remarquer l’échange entre les mots « perdre » et « oublient ». Les autres resteront dubitatifs.
Le livre est symptomatique de notre époque, qui veut que chacun ait son petit traumatisme chéri. La poétesse nous dit (p38) que traumatisme veut dire initialement blesser, mais aussi tourner et percer. J’ai donc vérifié. Traumatisme vient de τραυματισμος, dont le bailly (dictionnaire grec de référence) donne en seule définition : « action de blesser ». Nous accuserons la traduction pour cette erreur.
Là où cela devient dérangeant et sort du cadre de la poésie, c’est lorsqu’il n’y a aucun travail sur la langue. Exemple page 84 : « Dans la Grèce antique, les Muses, les filles aux pieds délicats de Mémoire, étaient censées inspirer les artistes. Ce n’est pas le savoir mais le souvenir qui nous fait créer. Cela expliquerait pourquoi tant d’œuvres magnifiques émergent du traumatisme, de la nostalgie ou du témoignage. » N’a-t-on pas ici l’impression de lire un exposé de collégien ? Sérieusement ?
Et puis, elle se méprend ici sur le rôle des Muses. Les muses étaient la mémoire dans le sens collectif, ce que nous nommerons patrimoine culturel aujourd’hui. Le poète se présentait sous leur autorité pour entendre qu’il racontait la vérité, invisible pour les simples mortels.
Pour finir, nous nous souvenons tous de la polémique qu’avait engendré la traduction du poème lu à l’investiture de Joe Biden. Les éditeurs, ainsi que le public semble-t-il, avaient conclu qu’il fallait une traductrice noire pour une autrice noire. Preuve que c’était une idée de merde : l’éditeur a refait traduire le poème en question à peine un an plus tard. Pour rappel, l’espérance de vie d’une traduction, quand elle est bonne, est en moyenne de 70 ans. Ah ah ah.