Avant toute chose, je tiens à préciser à mon exigeant lectorat que ce livre m’a été envoyé par l’autrice, que je remercie. Mais comme je ne suis pas homme qu’on achète, j’ai essayé, je vous jure que j’ai essayé d’être le plus méchant possible, j’ai débuté ma lecture avec une volonté d’y déceler le moindre défaut, la moindre faiblesse…
La particularité de cette collection poche du castor astral est la présence de 4 photos d’auteurs en début et en fin de volume. Disons que les quatre grands sourires de madame Vovor m’ont attendri, mais je ne suis pas homme à se laisser corrompre para una sonrisa, por hermosa que sea, et j’ai tourné les pages avec hargne, prêt à en découdre.
J’ai sauté la préface, car les préfaces ne disent que des conneries, c’est bien connu, et j’ai lu le premier poème, puis tout le reste. Quelle déception ! Moi qui pensais pouvoir dire du mal d’un livre ! Merde !
Malheur à moi, dès la première page j’étais conquis avec l’expression « beauté minimaliste » qui me rappelle la plage au « charme difficile » d’Antoine Blondin (Un singe en hiver).
Comme Apollinaire, Vovor se demande où se cache la poésie, et à cela, ils répondent : « Dans les reins fatigués d’une daronne de quartier Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant ».
On pourrait se demander ce qui permet de ranger ce livre dans le rayon poésie, en quoi des phrases telles que « j’sais pas vivre mélangé, j’ai le cerveau en dégât » se réclament-elles de la longue tradition poétique française ? La réponse est simple : car, de la même manière que Jehan Rictus a décidé qu’une phrase comme « Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,/ les p’tits flaupés, les p’tits foutus/ à qui qu’on flanqu’ sur le tutu » ou Bernard Noël avec « m’obligeant à me chier moi-même dans la merde de ma pensée/ au lieu de rayonner/ immobile/ tel le soleil », Vovor l’a décidé. C’est le poète qui créé la langue poétique, et non l’inverse. D’ailleurs la forme poétique de Vovor épouse son fond : beaucoup d’aphorisme pour une poétique de l’ère du réseau social, où l’on préférera toujours une phrase plus ou moins percutante à de longs vers.
Parlons rapidement du sujet de ce livre : l’aliénation. Oui, la voix qui parle est aliénée. D’un côté il y a celle du divertissement, Candy Crush, Disney, Les marseillais et cette phrase : « c’est grâce à elle qu’avortent, inlassablement, nos révoltes » p.33 ; ensuite celle du travail avec cette histoire d’horaires variables, de perte de toute sensibilité humaine au profit de l’efficacité (il y a d’ailleurs de formidables exemples du concept qu’a forgé Bernard Noël, la sensure, privation de sens sémantique, p. 44) ; puis celle sexuelle, avec le long texte magistral « Parfois je vomissais mon cœur sur la moquette », dont je ne vais pas parler ici car il mériterait à lui seul des pages et des pages. Et puis, qui va de pair avec l’aliénation sexuelle, l’aliénation corporelle, qui vient avec la pratique des réseaux sociaux. Bernard Noel dit que l’on n’a jamais autant montré de corps, et que ces corps n’ont jamais été si peu des corps. Il disait aussi qu’adopter le langage bourgeois, c’est déjà perdre la révolution. Je ne sais pas si S.V. a lu B.N., mais elle devrait, car ils sont plus proches qu’on pourrait le croire au premier coup d’œil : les deux pervertissent un langage pour le tuer de l’intérieur. Noël écrit à la fin d’Extrait du corps : « Alors, l’écorché regarde son squelette et dis : qui est-ce ? ». Remplacez écorché par aliénée et squelette par visage et vous aurez Frénésies.