Frénésies
7.2
Frénésies

livre de Stéphanie Vovor (2023)

Il y a quelque chose que j’aime dans la poésie : c’est que cela n’arrive jamais par hasard dans la vie.

Acheter un recueil de poésie n’est jamais un acte anodin. Ce genre est un de ceux (peut-être celui) qui souffrent le plus. Ça ne se vend pas aussi bien qu’un roman de Young Adulte, ça c’est sûr. Alors quand on l’achète, ce n’est jamais totalement par hasard.

Pour ma part, je suis allé dans un vieux village où je passais mon enfance, dans le fin fond du Limousin. Là, une petite librairie adorable qui venait d’ouvrir. Une vendeuse qui connaît son métier et respire l’humanité. Et elle parle à ses clients et ses amis de Stéphanie Vovor, venue présenter Frénésies quelques semaines avant. Le bouquin m’a tapé dans l’oeil immédiatement, sa couverture comme la citation dessus.

Quand j’aime une librairie, je ne me vois pas en partir sans un livre. Le choix est fait.


Le livre finit dans ma Pile A Lire. Je décide de ne pas y toucher de l’été : je préfère lire des romans durant cette période, des livres longs où j’ai besoin de beaucoup de temps. La poésie, je la garde pour plus tard. Pour Septembre ? Non, pas envie.

En fait, c’est ça pour moi la poésie : je ne la lis que quand j’en ai réellement envie, quand je le sens. Et là, début novembre, je le sentais. Je décide de commencer dès que j’aurais fini le livre sur lequel j’étais. Et c’est là où le hasard revient : bam, je me mets à reprendre les transports en commun à pas d’heure. Tôt le matin, tard le soir. Et tous les transports, hein : aussi bien ceux des jeunes cadres dynamiques que des ouvriers qui reviennent du boulot de nuit, ceux des adolescents et ceux des adultes. Bref, tout se mélange comme quand j’étais moi-même jeune prolétaire.


Je ne parle pas de ça au hasard.

Frénésies est arrivée dans ma vie au meilleur moment possible. Ce n’est pas un coup de poing, ce n’est pas violent. C’est juste bien écrit. C’est une jeune autrice de banlieue qui a fait ses classes, qui a sa maîtrise de la culture classique et qui la connaît assez bien, tout comme elle connaît assez bien la précarité pour en parler avec justesse et justice. Dans le flot des vies de banlieue, j’ai trouvé dans Frénésie le choc des mots. Ceux que vous auriez aimé pensé car vous les comprenez, ceux que vous n’auriez jamais pu imaginer mais qui immédiatement vous permettent de mieux comprendre l’humain, votre prochain, le monde.


Stéphanie Vovor échappe à tous les stéréotypes dont on pourrait vouloir l’habiller : non, elle n’est pas une « jeune » qui cherche à faire de sa vie une belle romance. Non, elle n’est pas une bourgeoise qui regarde de haut et avec une condescendante charité les classes dominés. Non, elle n’est rien de moins qu’une jeune femme avec une grande maîtrise des mots et un beau potentiel.

Elle raconte l’autre, elle raconte la vie et surtout elle tâche de raconter la beauté, la beauté des pensées.


Elle refuse même de rentrer dans des normes. Elle accepte aussi bien de faire des poésies qui répondent aux structures « classiques » que des mini-nouvelles où l’écriture est d’une précision chirurgicale quant au rythme et aux sonorités.

Elle joue avec les classiques de la poésie, faisant quelques références qui demandent trop de cultures pour le simplet que je suis. Le livre pour autant ne part pas dans tous les sens mais garde une cohérence et une unité.

Frénésies est bien choisi. Ce n’est pas un coup de folie, ce n’est pas de l’agressivité violente, c’est une force qui veut attaquer, qui se rebelle mais qui n’est pas dans l’excès, qui n’est que dans son plein droit et sa soif de vie.


J’ai pensé à Jehan-Rictus, à Emile Zola, à Virginie Despentes en la lisant. Parce que oui, il y a dans son style un goût de la vie du peuple, une envie de reportage et en même temps une agressivité sous-jacente. Et simultanément chacun nuance l’autre : Zola contre Despentes c’est aussi le souhait d’un espoir, d’une douceur. Despentes contre Rictus c’est ne pas oublier que la condition ouvrière n’est pas la même pour les hommes & les femmes. Rictus contre Zola : c’est ne pas tomber dans une prétention d’auteur qui se sait bon.


Stéphanie Vovor est douée, c’est indiscutable.

Son premier ouvrage montre de la jeunesse et un potentiel qui mérite d’être exploité. Frénésies serait un bon livre si c’était son dixième livre.

C’est son premier.

Je regarde les jeunes qui rentrent du foot dans le RER et je souris. Peut-être deviendront-ils professionnels ? Peut-être Stéphanie Vovor réalisera d’autres très beaux livres. J’ai hâte de les lire en tout cas.

mavhoc
8
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le 13 nov. 2024

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