Léo Strauss insiste sur la nécessité de l'existence d'un droit naturel, d'un étalon indépendant de la société qui permette de la juger, en particulier sur la question des lois : sur quoi se fonder pour dire qu'une loi est injuste ?


Après une présentation du relativisme ambiant à travers ce qu'il appelle l'historicisme et le conventionnalisme, ainsi qu'un démontage dans les règles (au sens quasi-littéral) de Max Weber et de sa séparation des faits et des valeurs, l'auteur part à la recherche du droit naturel.


Dans "le droit naturel classique", il nous montre que les Anciens conçoivent l'homme comme un animal social, c'est-à-dire réalisant sa nature humaine dans la cité. En découle un certain nombre de devoirs, et l'idée d'une perfection à atteindre, de vertus à acquérir. Le but du politique est d'amener les citoyens vers un idéal, la cité est pensée comme unité et non comme juxtaposition.
Cette grande partie finit sur une analyse brève des interprétations divergentes d'Averroès et de Thomas d'Aquin de la notion de "droit naturel variable" (Ethique à Nicomaque) chez Aristote, Strauss proposant une sorte d'entre-deux.


Il montre ensuite comment Hobbes, s'inspirant de la pensée "réaliste" de Machiavel, opère une révolution : en plaçant le droit naturel dans l'origine de l'homme (l'état de nature), il met au fondement de la société civile le droit de chacun à sa propre conservation, ouvrant la voix à l'individualisme. De devoirs naturels, on passe à un droit naturel. Cette partie, "le droit naturel moderne", étudie alors la pensée de Locke, qui, tout en affirmant se placer dans une perspective traditionnelle, emprunte en réalité beaucoup à Hobbes. Mais, pour lui, l'Etat devient un instrument au service des individus, qui doit être limité au maximum (conception courante dans le néo-libéralisme, Locke est sans doute celui qui a eu la plus grande influence sur les époques postérieures).


L'ouvrage se clôt sur "la crise du droit naturel", qui traite de Rousseau et de Burke.
Le premier prétend réhabiliter les vertus citoyennes contre le droit individuel, mais il prône également la nature contre la cité, la passion contre la raison (mouvement entamé par Hobbes), en un sens, la spontanéité contre l'artificialité. Ainsi, Rousseau contribue à détruire le droit naturel classique, en dépit des modèles romains qu'il invoque. D'une valorisation d'un accomplissement de l'homme, on passe à celle des origines, presque de la régression.
Le second s'attaque à tous les philosophes des Lumières, réhabilitant le particulier, la tradition et la pratique contre l'universel, les principes et la théorie. Mais s'il semble désirer un retour en arrière, la démarche consistant à placer toute source de légitimité dans l'histoire d'un peuple ouvre la porte au relativisme historique.


Mon résumé semble quelque peu confus, mais Léo Strauss expose ces doctrines avec une clarté et une précision tout à fait admirables, s'autorisant quelques envolées stylistiques ponctuelles.


Surtout, le livre ne se cantonne pas à une simple histoire des idées. L'auteur s'approprie les penseurs, en propose des analyses remarquables, et la réflexion qu'il nous offre, loin d'être un exposé plat, est irriguée par une singularité d'esprit.


Strauss ne donne cependant pas de solution au problème du droit naturel, hormis peut-être celle de retourner à la conception classique. Les réponses sont-elles à chercher dans d'autres de ses ouvrages ?


On l'accuse parfois d'avoir inspirer les néo-conservateurs américains; outre le côté insupportable de la tendance consistant à accuser tous les écrivains, il me semble que c'est un idée absurde, il s'oppose certes aux idées de son époque, mais à la manière iconoclaste et réfléchie d'une Hannah Arendt et non à celle d'un réactionnaire du dimanche.

Adrisengard
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 3 avr. 2016

Critique lue 485 fois

7 j'aime

4 commentaires

Adrisengard

Écrit par

Critique lue 485 fois

7
4

D'autres avis sur Droit naturel et histoire

Droit naturel et histoire
Adrisengard
9

La recherche du droit naturel perdu

Léo Strauss insiste sur la nécessité de l'existence d'un droit naturel, d'un étalon indépendant de la société qui permette de la juger, en particulier sur la question des lois : sur quoi se fonder...

le 3 avr. 2016

7 j'aime

4

Droit naturel et histoire
Lestrade
8

Le retour du droit naturel

Sympathique pépite que cet ouvrage de Léo Strauss, qui essaie de redonner ses lettres de noblesse à la notion de droit naturel alors battue en brèche par ce qu'il appelle le conventionnalisme,...

le 17 mars 2022

1 j'aime

Droit naturel et histoire
CréatureOnirique
10

De la nécessité du droit naturel

Ah ! Bonjour cher lecteur. Pour commencer, veuillez regarder cette vidéo. Et maintenant, des explications. Rassurez-vous, lecteur, je ne vais pas vous faire un réquisitoire contre le...

le 3 juin 2017

1 j'aime

12

Du même critique

Royal Affair
Adrisengard
4

La faute à Rousseau

Royal Affair, c'est l'histoire d'une homme converti aux lumières qui se rapproche du roi et qui veut transformer le Danemark en un pays moderne et juste; mais tout se complique car il tombe amoureux...

le 7 juil. 2015

9 j'aime

1

Droit naturel et histoire
Adrisengard
9

La recherche du droit naturel perdu

Léo Strauss insiste sur la nécessité de l'existence d'un droit naturel, d'un étalon indépendant de la société qui permette de la juger, en particulier sur la question des lois : sur quoi se fonder...

le 3 avr. 2016

7 j'aime

4