Critique de Shaynning

Voici un album jeunesse sur la thématique de la diversité ethnique, sur l'importance de l'intégration et de la force de l'interculturalisme.

De tout temps, les zèbres ont tiré une grande fierté de leurs pelage rayé blanc et noir. De l'autre côté de la rivière, vous trouverez leurs voisins au pelage zébré dans les tons rouges, qu'ils saluent de temps en temps. Cependant, depuis quelques temps, de gros nuages noirs couvrent le ciel au-dessus du territoire des zèbres rouges. Alors qu'il cueillait des fleurs près de la berge, Tizèbre découvre un petit zèbre rouge grelottant et malheureux, caché dans les herbes hautes. Mais alors que les adultes le pressent de questions sur les circonstances de son arrivé sur leurs terres, ce dernier reste muet. Heureusement, devant les conclusions hâtives et les remontrances des plus vieux, Tizèbre préfère amener le jeune Rouge chez lui. Il sursaute au moindre bruit et met des jours avant de parler, mais avec une bonne couverture, du potage et du temps, le petit zèbre expose enfin son histoire. "Salto" se met alors à dresser un univers tout en rouges, du coquelicot aux framboises, des betteraves aux pommes. Mais quand Tizèbre demande pourquoi Salto a traversé la rivière qui démarque leurs deux pays, le petit zèbre rouge redevient silencieux. Alors, Tizèbre, soucieux d'égayer son ami, part en terres rouges chercher de quoi lui remonter le moral. Il ramène des fleurs et des graines. Bientôt, le jardin de Tizèbre rougit par endroits de coquelicots. Certains curieux viennent même dans l'espoir de recevoir certaines de ces fleurs écarlates. Un jour , un second zèbre rouge est trouvé sur la berge et le concert des grincheux reprend de plus belle. "Érigeons des murs! Encore un autre! Cette rivière est une passoire!" Tizèbre se montre cordial une fois encore et invite le prénommé Gaspard a s'installer non loin de son domicile. Les trois nouveaux amis découvrent, un autre jour, un zèbre au pelage dans les tons jaunes. Les invectives et les remarques désobligeantes reprennent une fois de plus. Certain se soucient de savoir ce qu'ils mangeront, si leur pelage va tourner au marron, si des citronniers seront plantés, toutes des questions péjoratives, comme si les nouveaux allaient amener le malheur, la famine et la fin de leurs rayures noires avec eux. Entretemps, Tizèbre et ses amis plantent des fleurs jaunes et nouent une belle amitié. Jusqu'au jour ou ils rencontre...un zèbre au pelage bleu?

Puis, au bout d'un moment, les nuages qui recouvraient les terres des zèbres rouges s'en sont allés. Il est temps pour Salto de regagner son chez soi. Il part avec une valise remplie de marguerites, de navets et d'un peluche aux rayures noires et blanches, ainsi qu'une promesse de retours. Avec le temps, les zèbres colorés sont repartis chez eux et leur absence est d'autant plus évidente que les fleurs colorées se fanent. Même les grincheux sont d'avis que tout est redevenu bien sérieux depuis leur départ. Leur discours a bien changé. Tizèbre propose alors une solution: bâtissons un pont! Bientôt, un pont fut en effet bâti, avec l'aide de tous les membres de la communauté. Salto fut le premier à l'emprunter, suivi de zèbres jaunes, bleus...et même verts géants?! Ainsi se colora le monde des zèbres, avec ses fleurs multicolores et ses fruits colorés. Vous y trouverez encore des zèbres aux rayures noires, mais bien moins sérieux qu'avant, ainsi que quelques premiers métisses orangés, violets, alouette. "Les couleurs, comme la joie, ont un petit quelque chose de contagieux", n'est-ce pas?

Il valait la peine de donner un maximum d'informations sur l'histoire, car bon nombres de détails sont les éléments les plus intéressants à noter. Ce n'est pas juste une histoire de diversité, mais également d'intégration immigrante. le narratif des "grincheux" tourne autours de l'impression de se faire envahir, comme si ces nouveaux arrivants étaient des voleurs de nourriture et d'espace, des profiteurs et même un risque pour la pérennité de leurs couleurs de pelage. On est vraiment dans le même répertoires d'arguments que les anti-migrants ou les puristes blancs. Mais! Même les plus ronchons ne peuvent détester l'apport culturel qu'ils apportent. Ici, cet apport est symbolisé par des fleurs et des fruits, exotiques, colorés et plaisants à l’œil.

Tizèbre est le personnage intégrateur, celui qui accueil ouvertement les arrivants et se montre patient avec eux. Salto est un personnage traumatisé, on ne sait pas ce qu'il a vécu, mais c'est suffisamment grave pour qu'il reste muet à ce sujet. C'est excellent de la part de Tizèbre d'avoir respecter ce silence. Il parlera quand il sera en confiance et quand il sera psychologiquement prêt, c'est tout. Tizèbre a vite comprit que nous sommes attachés à ce qui est familier pour nous, d’où l'idée d'aller chercher les fleurs rouges pour Salto. Pour ces raisons, Tizèbre démontre une remarquable empathie. Dans un processus migratoire, il importe que les deux partis soient mobilisés, les arrivants et les hôtes. La réussite de l'intégration dans le pays d’accueil repose en majeur partie sur cette double collaboration.

La rivière pourrait incarner les points de passages maritimes, comme la Méditerranée, ou des milliers de migrants illégaux y risquent leur vie chaque jours. Un des vieux zèbres suggère d'ailleurs d'y bâtir un mur...une petite allusion plus ou moins subtile face à l'idée d'un certain hurluberlu états-unien ici?

J'aime beaucoup que nous ayons plusieurs communautés de migrants pour une fois, histoire d'illustrer la diversité réelle des immigrants. En outre, j'apprécie que le changement de mentalité des zèbres blancs et noirs passe par leur jeunesse, incarné par Tizèbre.

Côté forme, nous avons un petit hybride entre la Bd et l'album, car il y a à la fois de la bulle et du texte.

Les illustrations, pour leur part, sont très colorées, sans traits noirs et peu de jeux de lumières. Les petits zèbres sont fort mignons, tout comme ces abeilles rondelettes. Ouvrez l’œil, il y a de nombreuses petites créatures qui peuplent les pages, sans être des acteurs de l'histoire.

Bref, un bel album, très actuel et assez complet sur son sujet.

Pour un lectorat à parti du préscolaire, 4-5 ans.