Du côté de chez Swann, comme chacun le sait, est le premier des sept volumes qui composent A la recherche du temps perdu, l’œuvre majeure de Marcel Proust. Lorsque l’on passe quinze années de son existence à vivre en reclus, travaillant d’arrache-pied, écrivant encore et encore et abandonnant pour ainsi dire toute vie en société, on peut même dire que c’est l’œuvre de toute une vie. Longtemps, j’ai repoussé mon exploration de ce monument de la littérature française, effrayé par l’ampleur de la tâche qui m’attendait (plus de 3 000 pages au total – petite police de caractère et interlignes serrés), mais je me suis finalement jeté à l’eau. Et c’est peu de dire que je n’ai pas été déçu !
La grande force de Du côté de chez Swann, en tout cas ce qui fait que ce roman m’a autant plu, c’est qu’il se détache de la notion d’intrigue et que, plutôt que de faire le récit d’une série d’évènements, Marcel Proust s’est attaché à livrer au lecteur une réflexion sur la mémoire, le temps, l’amour et la jalousie. La partie traitant de ces deux derniers sentiments (Un amour de Swann) est d’ailleurs bouleversante de vérité : seul quelqu’un ayant vécu une passion ardente et la jalousie qui, parfois, en découle, peut décrire avec tant de vraisemblance les états de félicité et de tourment dans lesquels l’amour et la jalousie peuvent transporter un être humain.
La première partie (Combray) traite de l’enfance du narrateur qui, adulte, raconte sa relation avec sa mère et se remémore de nombreux souvenirs. C’est ici qu’apparaît la fameuse scène de la madeleine évoquant au narrateur des réminiscences enfouies au plus profond de sa mémoire, scène ayant donné naissance à la célèbre expression « madeleine de Proust », qui qualifie une chose qui fait instantanément remonter à la surface des souvenirs d’enfance. Cette partie est donc une réflexion sur la mémoire et le temps.
La troisième et dernière partie (Noms de pays : le nom), très courte, rapporte la rencontre du narrateur toujours enfant avec Gilberte Swann, la fille du Swann du titre et protagoniste de la deuxième partie dont il va tomber amoureux ; il n’aura alors de cesse que de tout faire pour la voir.
Mais ce roman ne serait pas aussi prenant, aussi grandiose, sans le style si singulier de son auteur. Si la croyance prêtant à Proust une prose uniquement composée de phrases longues est fausse – il utilisait également beaucoup de phrases courtes –, force est de reconnaître qu’il maniait les mots et la ponctuation à la perfection et qu’il savait composer des phrases touffues dépourvues d’emphase, ce qui n’est jamais une mince affaire ! Ces dernières ne sont jamais pénibles à lire ; elles s’insèrent dans le récit avec souplesse et sans nuire au rythme de la narration, bien au contraire. Le champ lexical utilisé est riche et varié, et le roman transpire l’érudition artistique de Proust (érudition picturale, musicale et architecturale, notamment.)
En tout cas, s’il y a une chose de sûre c’est que je ne mettrai pas longtemps avant d’aller faire un tour du côté des jeunes filles en fleurs et de leur ombre, vu comment je me suis délecté de ma lecture à l’entour de Swann !