Je suis enfin sorti de la lecture du 1er volume de La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust.
Pourquoi ai-je mis autant de temps à lire ce livre ?
En 2002 j'entamais des études littéraire où les profs étaient tous persuadés qu'on avait tous lu trois fois l'intégralité de la Recherche du Temps Perdu (ainsi que la totalité des oeuvres littéraires françaises.) Du reste, Proust ne fut pas au programme et j'étais tellement occupé à rattrapper d'autres auteurs qui me faisaient défaut (Gide, Hugo, Barbey D'Aurevilly, Baudelaire, Duras, Mishima, etc...) que je n'ai jamais eu le temps de m'y consacrer.
En 2003 ou 2004 j'avais été voir au théâtre un spectacle d'un homme qui récitait les meilleurs passages de la "Recherche" en espérant que cela me permettrait de faire un effet "reader's digest" : J'ai décroché comme c'était pas permis et en suit sorti avec à peine des bribes de textes dans la tête. Il faut dire que la phrase proustienne est redoutable, qu'elle est longue, qu'elle s'étire, qu'elle demande parfois relecture. J'ai vraiment eu du mal à l'analyser lorsqu'un passage proustien m'était demandé d'être analysé.
En 2008, j'ai commencé à lire des livres audios pendant le travail. Mais Proust n'y paraissait pas et tant mieux, j'avais déjà du mal à me concentrer sur du Flaubert (auteur que j'adore pourtant.)
En 2014 j'ai commencé il y a quelques années à me remettre à lire et à m'intéresser à quelques "pavés" de la littérature, comme Guerre et Paix, Ulysse et je savais qu'un jour la Recherche viendrait. J'en avais discuté avec un ami qui s'était attelé à sa lecture intégrale et j'avais bouquiné un manga qui condensait l'intégralité du roman.
Et enfin, cet hiver, j'ai enfin profité du fait que Du Côté de Chez Swann (compilant trois récits : "Combray" "Un amour de Swann" et "Noms de Pays : le nom") soit disponible à la bibliothèque pour graver, tel l'Everest, ce monument de la littérature.
Première impression : C'est moins dur à lire que Ulysse.
Deuxième impression : Une fois qu'on est dedans ça passe vraiment mieux. Le début est d'autant plus laborieux qu'il est accompagné d'une préface de quasiment 100 pages, avec un mec qui nous raconte pourquoi il faut aimer Proust, le résumé des chapitres suivant et parfois, par-ci par-là, des infos intéressantes. Ensuite, il y a ces pavés de textes bien serrés, qui s'étalent sur plusieurs pages, où l'auteur semble lui même hésiter sur ce qu'il est en train de raconter. Et puis... petit à petit... on commence à s'habituer à la phrase proustienne, à sa logorrhée, on l'apprivoise. On s'attache à l'univers aussi. Et ça devient vraiment bien.
Ok, certes, ça m'arrivait de décrocher, ce qui, au final, n'était pas trop grave, le texte permettant de toujours se raccrocher à quelque chose, notamment grâce au résumé de fin de volume, toujours utile pour savoir où on est en train de naviguer. Car certains passages m'ont, soyons honnête, plus parlés que d'autres : les descriptions de clochers et des habitudes des gens du monde m'ayant moins passionné que le fil du récit et la description des personnages.
Proust : Mon ami, mon frère
Bien qu'ils parlent de gens précis, jusque dans les moindre détails, il y a une universalité chez Proust : on a tous le souvenir de balades d'enfance, de gens qu'on a admiré, d'histoires qu'on s'est faite, de caprice d'enfant qu'on a vécu. (Et tout le monde aime sa maman.) Idem dans "un Amour de Swann" où les tourments amoureux du personnage principal m'ont rappelés ceux que j'avais vécu à une autre époque. C'est arrivé à tout le monde de se sentir bien dans un groupe d'amis qu'on trouvait initialement attachant pour finalement les trouver trop lourd et imbuvable, de se faire une balade en pleine nuit dans laquelle on ressasse tout ce qu'on a sur le coeur au cours de laquelle où l'on se raconte en tête la façon dont on se verrait bien envoyer chier tout le monde. ("Toi, t'es un gros faux-cul de merde")
C'est assez dingue de voir à quel point, moi, prolo chômeur de gauche, je me suis senti proche d'un bourgeois mondain homosexuel du début du XXe siècle comme Proust (ou son personnage de Swann) : Moi aussi j'ai vécu des insomnies, moi aussi j'ai des flashs quand je repense à tel ou telle chose, moi aussi j'étais ce gamin toujours en train de bouquiner par-ci ou par-là. Malgré un déchiffrement parfois pénible des phrases proustienne interminables, j'avais face à moi quelqu'un qui me parlait et le dialogue était agréable, malgré les parasites qui tentaient de me vanter sa parole.
Car comme je l'ai expliqué plus haut, la prose Proustienne est abondamment commenté par des universitaires qui n'acceptent pas vraiment que vous puissiez la découvrir sans lire avant leur logorhée, ou la parcourir en parallèle du roman avec leurs commentaires en bas de pages (qui se trouvent en fait à la fin du bouquin.) Vu l'ampleur du travail, ils s'y sont mis à deux et c'est là qu'on s'aperçoit que dans un exercice qui semble "neutre" comme le fait d'ajouter des notes, les gens ne sont pas égaux : Anne Herschberg Pierrot alourdit la lecture de "Combray" et de "Noms de Pays : le nom" avec des tonnes de notes pour la plupart totalement inutiles (des mots qui ont été raturés ou remplacés dans telle ou telle épreuve) tandis que Bernard Brun offre des renvois plus clairs, permettant de saisir certaines allusions du XIXe siècle à la géographie de Paris ou des remarques pertinentes sur la relation des personnages dans les brouillons.
En bref : Je suis assez confiant sur ma capacité à lire et à apprécier les autres tomes de la Recherche du Temps perdus.