Diaboliquement efficace

Certains individus sont particulièrement doués pour s’attirer des embêtements et dans le genre, Ariel Virgo est un sacré champion. De fait, le jeune homme est un paumé, un glandeur, une petite frappe sans envergure qui multiplie les combines minables et les coups foireux. Et depuis sa plus tendre enfance, celle qui à chaque fois lui sauve la mise et le sort du pétrin, c’est Manon, sa grande sœur. La tête sur les épaules, les pieds sur terre, le cœur sur la main : la jeune femme est en tous points différente de son loser de frère. Avec un tel profil, on aurait pu l’imaginer bibliothécaire, ou encore instit ou infirmière. Mais non, la belle est thanatopractrice et ravie de l’être : après tout, les morts ont eux aussi besoin d’attention au moment d’effectuer leur grand voyage. Et voici qu’une fois encore, Ariel vient frapper à la porte de sa frangine : sa copine l’a fichu dehors, et ce coup-ci, c’est pour de bon. Comme si ça ne suffisait pas, frérot vient de faire une connerie monumentale – il faut dire que le shit qu’il fume à longueur de journée ne doit guère lui arranger les neurones. Avec son pote garagiste qui maquille et revend des voitures volées, il n’a rien trouvé de mieux que de faucher la Laguna d’un membre d’une secte sataniste, garée à proximité d’un château en ruine perdu quelque part dans les Causses. Comme on pouvait s’y attendre, ces adeptes de messes noires, de rituels diaboliques et de sacrifices animaux voire humains ne rigolent pas du tout quand on s’attaque à leurs biens. Leur vengeance promet d’être terrible, d’autant plus que, sans le savoir, nos petits malfrats leur ont dérobé un objet auquel ils tiennent particulièrement. Et voilà Manon et Ariel plongés dans les emmerdes jusqu’au cou alors qu’autour d’eux les assassinats se multiplient.

Autant le dire tout de suite, le nouveau roman de Sire Cédric n’est pas exempt de tout reproche : quelques incohérences sur lesquelles je ne m’étendrai pas pour ne rien dévoiler de l’intrigue, des tics de langage plutôt crispants – dix fois "le goût métallique du sang" dans le récit, c’est pour moi neuf fois de trop. Pourtant, il faut reconnaître que ce thriller fait mouche : l’intrigue est diablement efficace, le suspense haletant et les descriptions de nature à faire dresser les cheveux sur la tête. L’auteur convoque nos peurs ancestrales et notre fascination pour le Mal, mêlant différentes rumeurs liées à des sociétés secrètes et à leurs agissements démoniaques réels ou supposés – les réseaux occultes autour de Marc Dutroux, la société secrète Acéphale fondée par Georges Bataille, les Hellfire Cubs d’Angleterre et d’Irlande. On sent que son sujet le fascine particulièrement et qu’il s’en est donné à cœur joie : dites-vous qu’à moins d’être foncièrement pervers, tout ce que vous pourrez imaginer n’égalera pas dans le gore les abominations que Sire Cédric nous a concoctées. Rien de surnaturel dans le roman cependant : nul besoin de la présence de Satan pour que l’horreur soit à son comble, l’âme humaine contient assez de noirceur pour s’en passer allégrement.

Pour qu’un thriller fonctionne, il ne suffit pas d’inventer une intrigue potentiellement flippante, encore faut-il que le lecteur puisse la trouver vraisemblable, du moins en partie. Après tout, les faits divers nous le rappellent très souvent, en matière de monstruosité, la réalité dépasse souvent la fiction. A la fin de votre lecture, vous vous surprendrez peut-être à regarder différemment vos voisins et connaissances, surtout s’ils sont puissants et friqués. Peut-être font-ils partie de l’un ou l’autre Club des Masques aux activités plus ou moins occultes et monstrueuses ? Qui sait ce qui se cache sous leur déguisement de respectabilité et de bonhomie ? Et s’ils se donnaient rendez-vous via le dark web pour se retrouver à la nuit tombée dans des soirées très privées aux rituels infernaux ? Moi, parano ? Allons donc !