Du Herisson
7.5
Du Herisson

livre de Éric Chevillard (2002)

Du Hérisson est un vrai petit bijou de livre, à la fois léger et intelligent, jouant avec nous sans jamais nous prendre de haut. Vu le concept, volontairement frustrant, c'est déjà un exploit !

L'histoire est simple, et aura intrigué n'importe quel amateur d'absurde : l'auteur-narrateur se lance dans son grand projet autobiographique : il annonce, il va s'écrire tout entier pour la postérité. Mais voilà que sur sa table il remarque un hérisson (invariablement qualifié "naïf et globuleux"). Partant, chaque paragraphe se verra investi de ce hérisson naïf et globuleux, envahissant le plan de travail de notre auteur, tout autant que ses pensées.

Il y a du Beckett chez Chevillard, on l'a assez dit. Mais là où Beckett empoisonne ses romans de références à ses idoles littéraires qu'étaient Joyce et Dante, Du Hérisson s'aborde beaucoup plus simplement : rares sont les collégiens n'ayant pas lu au moins une fois l'incipit des Confessions de Rousseau, ou celui des Essais de Montaigne, et on se fait assez facilement une idée des enjeux d'une autobiographie.
Dans Du Hérisson, ils sont sans cesse retardés et démolis. S'entame alors un jeu entre Chevillard et le lecteur que nous sommes. Chaque effet, chaque attente se trouve éludé au profit d'une précision anatomique, d'une réflexion oiseuse, ramenant au hérisson naïf et globuleux. Puis certains détails promis arrivent sans prévenir, balancés sans chronologie, annulant tout suspens intrinsèque : car nous avons à faire à une vie comme tant d'autres.
C'est là une des grandes forces du livre. Il nous invite à endosser cette place d'auteur potentiel d'autobiographie, forcément remplie de banalités, poncifs que Chevillard se fait un plaisir de tourner en dérision : la blessure d'enfance (grand moment d'hilarité sur le triste cliché du prêtre pédophile), le premier amour et les regrets de n'avoir pas "essayé" avec la moche, la douleur d'un amour non partagé, avant l'apaisement d'une vie conjugale doucereuse (non sans détails sexuels sans cesse promis).

Pour ne rien enlever, à l'intérêt du fond s'ajoute l'écriture de Chevillard, exigeante, qui se révèle être un vrai bonheur en toute situation. Qu'elle se fasse analytique, zoologique, mélancolique (de fulgurances en fulgurances lorsqu'il évoque à demi-mots cette fille qui l'a blessé et qu'il a tant aimé), poétique, elle est pleine d'un humour sans cesse renouvelé, provenant tout autant de l'absurdité de la situation de cet écrivain en lutte avec son hérisson naïf et globuleux que de la langue elle-même, maniée avec une drôlerie d'une finesse étonnante. Ça ne s'explique pas, il faut le lire.

Alors oui, il est possible que l'objet, ni roman ni essai, exigeant une attention et une digestion de la part du lecteur forcément un peu ahuri face à l'inconnu, puisse horripiler, et ne fera pas le plaisir de celui qui se serait bien contenté d'une bonne histoire bien contée. Pour ma part je recommande vivement de tenter l'expérience.
Tom_A
8
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Créée

le 25 août 2013

Modifiée

le 25 août 2013

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Tom_A

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