"Ecoutez nos défaites" brasse des siècles de guerre, de l'antiquité avec Hannibal en passant par Ulysse Grant durant la guerre de Sécession et Hailé Sélassié, rois des rois d'Ethiopie aux guerres contemporaines menées par les intégristes musulmans contre leur propre histoire au détriment de la culture et de l'amour.


Les guerres se ressemblent-elles pour autant? Laurent Gaudé s'interroge sur l'intemporalité de ce fait propre aux êtres humains et à certains grands singes. Il montre également que la guerre a pris aujourd'hui un aspect dystopique avec l'usage des drones. Evocation d'un "soldat" qui se suicide après avoir tué des enfants bien installé dans son siège à des milliers de kilomètres de sa cible..


Il n'en reste pas moins que la guerre est vielle comme le monde, plus précisément l'Humanité. L'histoire est parsemée de batailles entre deux armées avec à leur tête des héros ou non. Or, aujourd'hui il apparaît que c'est plus diffus. On peut parler d'une guerre sans héros. Evocation de deux soldats américains mis au pinacle et conduits à faire des "one man show" à travers les Etats-Unis. On peut parler aujourd'hui d'une guerre sans vainqueur.


Et autrefois? Prenant l'exemple d'une guerre entre deux empires, celui d'une guerre civile et enfin celui d'une guerre coloniale, Laurent Gaudé montre que la guerre charrie ses mêmes horreurs. Il n'y a pas de guerre dite propre, même si la cause semble juste. Laurent Gaudé décrit des corps qui se vident de leur vie, des boucheries intemporelles même si c'est pour la liberté.


Laurent Gaudé en appelle à trois figures historiques pour montrer toute la complexité de la guerre. Il aurait pu en choisir d'autres aussi emblématiques et intemporels. Hannibal, le général Grant et l'empereur d'Ethiopie semblent avoir été des choix instinctifs. Ces trois personnages historiques ne conduisent pas à des jugements lapidaires. Ils ont des zones d'ombre, des zones de lumière. Le général Grant est vilipendé par son propre camp qui voient en lui un "boucher" qui fait penser au général Nivelle durent la 1ère Guerre mondiale. Sa cause est juste mais ce n'est pas pour autant que Laurent Gaudé cache les zones d'ombre d'un personnage historique qui fait fi du sort de ses soldats. Jouant la carte du nombre, il ne cesse de sacrifier des bataillons entiers. On peut parler pour la Guerre de Sécession de première Guerre Totale de l'histoire. Même pour une cause juste, la tentation de l'hubris est grande.


Quant au Négus, il laissait son peuple mourir de faim alors qu'ils collectionnait les voitures de luxe. Dans son cas, on peut parler de vaincu face à l'Italie fasciste qui utilise l'arme chimique sciemment sur les populations civiles et les soldats du Négus. C'est un conflit totalement déséquilibré, perdue d'avance. Mussolini veut venger l'affront que l'Italie a connu face à l'Ethiopie des décennies plus tôt. On est dans le cadre de la vengeance.


Laurent Gaudé semble se montrer plus indulgent avec Hannibal, peut-être parce qu'il a été vaincu ou tout simplement parce qu'il est personnage également mythologique. Pourquoi est-il rentré dans l'histoire? D'autant plus plus que la cause du général carthaginois n'est en rien juste. C'est un conflit entre deux puissances rivales. En outre, Hannibal a mené une des batailles les plus sanglantes de l'histoire de l'humanité le long de l'Ofanto, faisant plus de 45 000 morts romains en quelques heures. Peut-être que l'aura d'Hannibal vient du fait de ses dons de stratège ou du fait qu'il finira par se plier devant Scipion dit l'africain. On préfère les perdants magnifiques.



Ces trois figures de l'histoire répondent à une époque contemporaine trouble où se rencontre deux personnages solitaires aux causes totalement différentes, un soldat de l'ombre engagé pour annihiler les ennemis de la France et une archéologue qui essaye désespérément de sauver l'Histoire face à des hordes de fanatiques religieux, images intemporelles de l'ignominie des religions à travers l'histoire.


Et pourquoi ce titre? Laurent Gaudé ne s'intéresse pas à l'échec. Mariam, le personnage fictif du roman dit à un moment qu'elle n'a pas démérité, qu'elle s'est battue, qu'elle a mené sa vie comme elle l'entendait, mais qu'elle doit désormais embrasser le temps de la défaite, celui du vacillement, de la défaillance... face à la maladie pour elle. Son corps se délite. C'est tout simplement le temps qui passe. Quant à Asem, il est conduit à enquêter sur un soldat perdu des Etats-Unis qui fait penser au colonel Kurtz d'"Apocalypse now".


Mais alors que reste-t'il? L'amour entre deux êtres qui ne se reverront jamais semble-t'il mais que lie à jamais un attachement à la vie.

SebastienTalvas
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le 21 oct. 2024

SebastienTalvas

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